L’élimination de Yasser Abu Shabab, chef de la milice « Forces du Peuple », a provoqué une onde de choc dans la bande de Gaza et au sein des milieux sécuritaires israéliens. Soutenue discrètement par Israël pour contrer l’autorité du Hamas, cette milice était considérée comme la plus structurée parmi les groupes palestiniens recrutés pour affaiblir l’organisation islamiste. Selon un ancien haut responsable du Shin Bet cité par le New York Times, la formation d’Abu Shabab « opérait exactement comme une unité militaire israélienne », au point que son absence aurait obligé Tsahal à mener elle-même toutes les missions déléguées. Cette affirmation met en lumière la profondeur d’une coopération longtemps tenue dans l’ombre.
Pour beaucoup de Palestiniens, Abu Shabab représentait avant tout un symbole de collaboration. Pour certains Israéliens, il demeurait une figure ambiguë, oscillant entre opportunisme local et utilité tactique. Dans une interview rare accordée à l’automne au New York Times, il déclarait sans détour ne pas avoir honte de ses liens avec Israël, assurant que la coordination permettait d’empêcher l’infiltration de combattants du Hamas dans sa zone de contrôle. Mais cette proximité, qui lui assurait une protection implicite, l’a aussi exposé à une hostilité violente de la population gazaouie. À plusieurs reprises, il avait été la cible d’attaques du Hamas, qui considérait ses activités comme une trahison.
Abu Shabab dominait une zone proche du passage de Kerem Shalom, où sa milice contrôlait l’accès, distribuait – et parfois détournait – l’aide humanitaire, et gérait un ensemble de familles et de combattants dépendant directement de lui. Accusé d’avoir pillé des convois d’aide lors de la famine de 2024, il se défendait en affirmant qu’il s’agissait de nourrir les populations locales abandonnées. Pour certains humanitaires, dont Georgios Petropoulos de l’ONU, il était devenu « le gouverneur autoproclamé de l’est de Rafah », agissant en marge du chaos et des autorités établies.
Sa mort, survenue lors d’affrontements impliquant une tribu locale, n’est pas officiellement revendiquée par le Hamas. Toutefois, le ministère de l’Intérieur administré par l’organisation a salué l’événement, affirmant qu’il s’agissait du « destin inévitable de tout traître ». Ce discours vise clairement les autres milices anti-Hamas soutenues par Israël, auxquelles le mouvement islamiste enjoint désormais de se rendre avant de subir le même sort.
Selon le reportage du New York Times, la « Force du Peuple » était considérée comme la plus nombreuse et la mieux encadrée parmi les groupes palestiniens coopérant avec Israël. Abu Shabab affirmait superviser plus de 3 000 personnes, dont environ 1 200 combattants. D’autres chefs de milices dans le nord et près de Khan Younès évoquaient des effectifs variant entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines d’hommes, armés, entraînés et bénéficiant d’un soutien aérien de surveillance fourni par Tsahal.
Les objectifs de ces milices étaient concrets : sécuriser des zones entières pour libérer les forces israéliennes de missions de contrôle, faciliter l’identification de combattants du Hamas, transmettre des listes de noms, et maintenir une présence anti-Hamas visible au sol. Comme l’explique Shalom Ben Hanan, ancien cadre du Shin Bet, ces groupes « exécutaient des missions militaires comme une véritable unité régulière ». Sans eux, estime-t-il, Israël aurait dû maintenir un déploiement plus lourd dans les zones qu’ils surveillaient.
Mais malgré cet appui, aucun de ces groupes n’avait la capacité réelle de menacer l’autorité du Hamas. Leur proximité avec Israël restait un stigmate indélébile dans les yeux de la population, les condamnant à demeurer des instruments temporaires plutôt qu’une alternative politique. Pour beaucoup de Gazaouis, ils représentaient des clans opportunistes ayant profité du chaos pour imposer leur pouvoir local. « Abu Shabab était avant tout un criminel, pas un leader », affirme un enseignant cité dans le reportage, rappelant combien l’homme restait disqualifié pour toute forme de gouvernance.
Après sa mort, son adjoint Ghassan Douheina est apparu dans une vidéo affirmant reprendre le commandement. Reste à savoir si la milice survivra longtemps sans l’autorité centralisatrice de son chef. Les précédents montrent que de telles structures s’effondrent rapidement une fois éliminé leur pivot. Dans un Gaza fragmenté, meurtri et toujours divisé entre une moitié tenue par le Hamas et une autre influencée par Israël, l’avenir de ces factions reste incertain. L’épisode Abu Shabab révèle surtout les limites d’une stratégie reposant sur des intermédiaires locaux exposés à la violence, à l’opprobre populaire et à l’instrumentalisation politique.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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