NI MORT NI BLESSE MAIS BRISE – Par Rony Akrich

Je m’appelle Yigal. Je suis officier IsraĂ©lien. J’ai combattu Ă  Gaza au cours de l’opĂ©ration « Tzuk Eytan » en 2014 et je suis atteint du ‘Syndrome de Stress Post-Traumatique’ (SSPT).

Quand les mĂ©decins de l’armĂ©e prononcĂšrent leur diagnostic, je refusai de l’admettre, je refusai d’en parler Ă  qui que ce soit. Tous m’engagĂšrent, pourtant, Ă  me l’avouer, Ă  moi-mĂȘme comme Ă  mes proches, mais je redoutais leurs regards, leurs paroles. Plus que tout, la position des autoritĂ©s militaires Ă  mon Ă©gard m’inquiĂ©tait. Mon dossier me condamnerait. Jâ€˜Ă©tais un soldat, j’étais fort, j’avais juste besoin de me nettoyer l’esprit.
NĂ©anmoins, avec plusieurs mois de retard je me fais une raison et dĂ©cide de passer Ă  l’acte sans vraiment savoir quel a Ă©tĂ© l’élĂ©ment dĂ©clencheur. En y pensant aujourd’hui, peut-ĂȘtre ce jeune soldat qui dĂ©cide d’en finir et
 se suicidera plusieurs semaines aprĂšs son retour de la bataille.
Peut-ĂȘtre le visage des enfants et des mĂšres aperçus Ă  toutes les portes oĂč j’ai frappĂ© pour annoncer le malheur qui venait les atteindre de plein fouet. Peut-ĂȘtre le souvenir de mon uniforme, maculĂ© de sang et de morceaux humains, lors de cette explosion qui emporta nombre de mes camarades.
Je sentais les douleurs. J’entendais les cris. Je voyais la misùre. Je touchais l’homme cadavre et marchais sur la ruine. Peines, maux et souffrances, s’introduisaient en mon ñme et conscience.

Mal Ă  respirer
Un soir, me trouvant Ă  la maison, allongĂ© sur mon lit, je sentis soudain ma poitrine se serrer. J’avais du mal Ă  respirer. On m’enfermait. J’étais pris au piĂšge. J’étais pris de panique. Je sortis prĂ©cipitamment du lit et compris que j’allais mourir. J’arpentais la piĂšce dans le noir pendant des heures avant de m’épuiser. Je faillis me rendre aux urgences cette nuit-lĂ , mais le soldat en moi exigea de tenir le coup. Le soleil finit par se lever.
De nouveau, la douleur me reprit et me battit encore, m’entrainant dans un vent de panique et de peur de rester enfermĂ©. Ma claustrophobie et mon Ă©tat psychologique n’arrangĂšrent, en rien, le malaise ressenti Ă  la poitrine. Je pensais bien ĂȘtre victime d’une crise cardiaque et, si c’était le cas, j’avais besoin de voir un mĂ©decin. Un infarctus aurait Ă©tĂ© honorable, pas un stress post-traumatique.
Je me rendis apeurĂ© Ă  l’hĂŽpital oĂč l’on ordonna, immĂ©diatement, toute une batterie d’examens. Une fois le danger cardiovasculaire Ă©cartĂ©, les mĂ©decins, connaissant mon passĂ©, me recommandĂšrent au service psychiatrique. « Je ne suis pas fou, pourquoi donc dois-je les voir et ĂȘtre dĂ©finitivement classĂ© parmi les brisĂ©s ? » pensais-je en moi-mĂȘme.

RentrĂ© chez moi, ce mĂȘme jour, cette sensation d’oppression me reprit plus fortement encore, je savais que je ne pourrais pas continuer de vivre ainsi, aussi dĂ©cidais-je d’en parler en privĂ© avec un psychologue. Il examina mon dossier et confirma ce que je savais dĂ©jĂ  : mon diagnostic Ă©tait sans appel et nĂ©cessitait un vĂ©ritable accompagnement.

Dans l’immĂ©diat, seule la mĂ©dication arrivait Ă  soulager mes bouffĂ©es d’angoisse, mon anxiĂ©tĂ© et mes cauchemars tout en me permettant de fonctionner tant bien que mal.

AprĂšs la guerre
Quand la guerre cessa, je pensais pouvoir me dĂ©tendre et laisser cet Ă©pisode de ma vie derriĂšre moi. Quelques semaines aprĂšs mon retour, je voulus faire part de ma douleur et de mes condolĂ©ances Ă  une famille dont le pĂšre, tombĂ© au combat, fut l’un de mes hommes. Il Ă©tait mariĂ©, pĂšre de trois enfants.

À ce jour, je ne peux m’endormir sans voir le visage de sa petite fille, me regardant avec tant de colĂšre dans les yeux. Elle m’examina et pĂ©nĂ©tra de son regard le plus profond de mon ĂȘtre, sans verser aucune larme. Je suis certain qu’elle ne m’oubliera jamais, moi, le survivant, parlant de son papa mort.
Je n’ai jamais quittĂ© le champ de bataille. J’ai ramenĂ© la guerre Ă  la maison au sein de ma famille, au milieu de la vie quotidienne et bruyante.

Je ne voulais approcher personne ni m’attacher Ă  quiconque. Comment pouvoir aimer et perdre l’ĂȘtre cher ? Pourquoi s’attacher un tant soit peu ? Pour qui, pour quoi ?
. pour rien. Une grande partie de moi voulait retourner au combat car le champ de bataille donnait sens, rentrer Ă  la maison et retrouver ses habitudes m’effrayait. Je sentais pertinemment aussi que ce retour physique au creuset du foyer familial tĂ©moignerait de l’absence de moi, c’est-Ă -dire de mon Ăąme et de ma conscience.

Je n’étais plus le mĂȘme
La maison dans laquelle je suis revenu n’était pas celle d’oĂč j’étais parti. Ma famille n’était plus la mĂȘme, je n’étais plus le mĂȘme.
Je devinais un manque important, une chose m’avait Ă©tĂ© volĂ©e, elle laissait un trou bĂ©ant et je ne pouvais en parler Ă  personne. Personne, sauf les gars avec qui j’étais lĂ -bas. Je cherchais Ă  me consoler au milieu des miens en arme, je cherchais ces soldats qui, comme moi, avaient traversĂ© et endurĂ© la peine et le soulagement, la douleur et la joie.
Nous Ă©tions nombreux, nos expĂ©riences Ă©taient trĂšs diffĂ©rentes mais nous avions une chose en commun : nous nous sentions diffĂ©rents sans ĂȘtre fous et sans avoir aucune dĂ©ficience. Ce fut un vĂ©ritable drame.

Faire face Ă  tous ces morts, ces destructions, ces douleurs et ces calvaires auxquels nous assistions et que nous subissions. Aussi Ă©tions-nous tous rĂ©ticents Ă  parler « officiellement » Ă  un tiers Ă©tranger. Si nous avions besoin d’aide, nous n’y allions tout simplement pas car nous pensions ĂȘtre Ă  la merci de ces chefs qui s’en serviraient Ă  notre encontre pour des raisons tracassiĂšres.
Nous nous sentions seuls. Nous étions pris au piÚge de nos propres souvenirs, essayant parfois de les ignorer et souvent ne pouvant y réussir
. tenter de mettre fin à ces jours comme le démontre la terrible courbe statistique. Les autorités militaires tentent de bouleverser cette macabre tendance et connaissent un certain succÚs.

Le fardeau
Je tĂ©moigne ici et il le faut. Une partie de moi s’est expressĂ©ment posĂ© la question : le monde, ma famille, mes amis, se seraient-ils mieux portĂ©s en se passant de moi ?
Les soldats atteints de SSPT, souvent dans le dĂ©ni, ressentent que le simple fait de quĂ©mander de l’aide Ă  un professionnel de la santĂ© mentale peut devenir une information utilisĂ©e contre eux, pour mieux les cibler et leur faire Ă©prouver qu’ils sont un fardeau pour la sociĂ©tĂ© et son systĂšme.
C’est vrai pour moi aussi. Je me sentais comme cela et je craignais d’obtenir l’aide dont j’avais besoin.

Au lieu d’ĂȘtre un poids pour l’armĂ©e, j’ai fini par ĂȘtre un fardeau pour les personnes les plus importantes de ma vie. Redoutant d’ĂȘtre rĂ©duit Ă  une peau de chagrin, je suis entrĂ©, comme tant d’autres, en rĂ©sistance, mais ici sous terre, une maniĂšre de m’enterrer.

Quand je ferme les yeux la nuit, je me vois, parfois, encore en train de ramasser les plaques d’identitĂ© de mes soldats, devenus froids. Je me revois soutenir Avi, mon cher Avi, mon ami d’enfance, qui se meurt dans mes bras au milieu de la mitraille. Je vois encore son sang Ă©clabousser mon uniforme alors qu’il respire pour la derniĂšre fois, ses yeux greffĂ©s sur les miens. Durant les moments calmes de la journĂ©e, quand je suis en famille, je vois dĂ©filer les visages de toutes les Ă©pouses, les enfants, les maris, les mĂšres et les pĂšres dont j’ai dĂ©truit la vie en ne pouvant ramener vivant chaque-un de leur pĂšre, frĂšre et fils.

Pas de médaille
Ma raison me dit que je ne suis pas la cause de leur douleur et de leur chagrin, mais mon cƓur me dit le contraire. Il se gonfle et explose de chagrin. Je sais que je ne pourrais pas muer leur douleur, mais je peux, et dois, changer la mienne comme la souffrance infligĂ©e Ă  ma famille.

Seul un soldat comprend qu’ĂȘtre physiquement Ă  la maison ne signifie pas rentrer Ă  la maison. Rentrer chez soi aprĂšs la guerre semblait ĂȘtre l’une des choses les plus faciles Ă  faire. Dans notre culture militaire, je suis ce que certains qualifieraient de soldat brisĂ© ou passĂ©. Je n’ai pas d’impact de balle pour montrer mes blessures. Je ne recevrais aucune mĂ©daille, qui les reconnaĂźtra ? Si je le faisais, j’aurais trop peur et honte de la porter dans notre culture actuelle, comme pour beaucoup d’entre nous.
Nos blessures sont du type invisible, le type que nous portons dans nos Ăąmes, je n’ai pas honte d’elles. Pour moi, et d’autres comme moi, elles sont aussi rĂ©elles et vraies que celles qui saignent.

Depuis, je reçois toute l’aide nĂ©cessaire car j’en ai assez d’ĂȘtre encore dehors, j’en ai marre d’ĂȘtre sur ce champ de bataille que j’ai ramenĂ© avec moi, il est grand temps de rentrer Ă  la maison. Il est enfin venu le temps, pour nous tous, de rejoindre le sein familial.
Mon nom est Ygal et je suis un soldat de Tsahal, griĂšvement brisĂ©. Je suis fier d’avoir servi mon armĂ©e, mon peuple et mon pays ! Je vous laisse maintenant, on se retrouve trĂšs vite chez moi, Ă  la maison pour crier « LĂ© ChaĂŻm » !

Ps : Ce texte est inspiré des récits de mes amis, de leurs enfants et de mes périodes militaires comme officier médical dans les rangs de Tsahal. (R.A)

Par Rony Akrich


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