« Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de lâhistoire est la leçon la plus importante que lâHistoire nous enseigne. » (Aldous Huxley)
LâHumanitĂ© vit une Ă©poque oĂč lâon devrait considĂ©rer, avec le plus grand des sĂ©rieux, lâenseignement de lâHistoire. Celle-ci est, et demeure, une matiĂšre essentielle Ă lâĂ©ducation des individus, futurs citoyens de la nation. Les historiographes nous remĂ©morent lâintĂ©rĂȘt premier du âdevoir de mĂ©moireâ vis Ă vis de tous ces passĂ©s dĂ©vastateurs.
PrĂ©server le souvenir, ne pas oublier, câest vouloir rester en alerte et repĂ©rer, au prĂ©sent, tous signes avant-coureurs qui inciterait de nouveau Ă la haine, une sombre rengaine des jours dâantan.
Nous devons, obligatoirement, offrir Ă lâinstruction de la mĂ©moire et du souvenir, une sĂ©rieuse opportunitĂ© dĂšs le primaire. Nos enfants ne peuvent, plus longtemps, ĂȘtre mis en situation de cĂ©citĂ© et dâabrutissement face Ă lâHistoire et ses leçons. Notre prĂ©sent inspire les souffles du passĂ©, il sâen inspire et souvent, trop souvent, il expire une haleine putride.
« Lâhistoire dâune vie, quelle quâelle soit, est lâhistoire dâun Ă©chec. Le coefficient dâadversitĂ© des choses est tel quâil faut des annĂ©es de patience pour obtenir le plus infime rĂ©sultat. » (Jean-Paul Sartre)
Toutefois, malgrĂ© son suffrage, le sujet ne peut Ă©liminer les incertitudes et les chicanes. Consacrer le passĂ©, broder constamment sur la mĂ©moire, ouvre une voie et nous Ă©veille au danger dâaccabler lâactualitĂ© dâun poids Ă©puisant et dĂ©finitif. Lâintuition populaire se manifeste diffĂ©remment.
Si lâon dĂ©sire gĂ©nĂ©rer de nouvelles chroniques chez lâhomme, elle affirme la nĂ©cessitĂ© de pouvoir relĂ©guer le passĂ© au passĂ©, dâoctroyer au prĂ©sent, bonne et meilleure fortune, sans un renvoi rĂ©pĂ©titif au passĂ©.
Pour crĂ©er, il faut pouvoir oublier ce qui doit lâĂȘtre.
Or la disposition Ă lâhistoricisme (une doctrine suivant laquelle lâHistoire, livrĂ©e Ă ses seules forces et sans le secours dâune philosophie, est capable dâĂ©tablir certaines vĂ©ritĂ©s morales ou religieuses) conduit, Ă lâopposĂ©, Ă discrĂ©diter toute volontĂ© et Ă plomber le rĂ©el de toutes les Ă©valuations. LâHistoire nous handicape, nous voici devenus les freluquets maladroits dâun hier constamment plus illustre que notre aujourdâhui, insignifiant et dĂ©sert.
Quel ministĂšre pourrait-on concĂ©der Ă lâHistoire ?
La GrĂšce antique expliquait, en son temps, le rĂŽle du chroniqueur : celui-ci devait Ă©laborer un souvenir mĂ©morable et inaltĂ©rable afin de contrer les mĂ©faits du temps et lâusure de lâoubli. Elle concevait son passĂ© le plus glorieux comme lâhĂ©ritage populaire, par excellence, Ă mĂȘme dâĂȘtre conservĂ© car porteur dâun enseignement des plus inspirant pour les gĂ©nĂ©rations Ă venir. LâHistoire est Ă©logieuse, sa transcription veut offrir, au respect des hommes, un panthĂ©on quâils puissent vĂ©nĂ©rer.
Les historiens modernes bouleversent cette conception.
Il ne sâagit pas simplement de se souvenir de ce qui est inoubliable, mais surtout dâun âdevoir de mĂ©moireâ quant Ă une Histoire beaucoup moins illustre. La nuance est subtile. Si, Ă la rigueur, le souvenir sauvegarde uniquement ce qui fut, il nâimpose aucun devoir impĂ©rieux puisquâil nâen possĂšde guĂšre. NĂ©anmoins, nous ne pouvons apprĂ©hender une mĂ©moire soustraite Ă la raison morale, câest-Ă -dire dĂ©pourvue de tout devenir Ă©ducatif. En français, le terme âdevoirâ tire son origine du verbe latin âdebere, debeoâ, signifiant « ĂȘtre lâobligĂ© de⊠»
« Je nâaime pas lâexpression âdevoir de mĂ©moireâ.
Dans ce domaine, la notion dâobligation nâa pas sa place. Chacun rĂ©agit selon ses sentiments ou son Ă©motion. La mĂ©moire est lĂ , elle sâimpose dâelle-mĂȘme ou pas. Il existe, si elle nâest pas occultĂ©e, une mĂ©moire spontanĂ©e : câest celle des familles. Il existe une chose importante Ă faire : câest le devoir dâenseigner, de transmettre. LĂ , oui, il y a un devoir ». (Interview de SIMONE VEIL par AGATHE LOGEART, Le Nouvel Observateur, n°2097, janvier 2005)
Nous sommes donc redevables au passĂ©. Il exige travaux dirigĂ©s et leçons pratiques comme pour tout bon Ă©tudiant. Les survivants de la shoah ont ce devoir Ă lâĂ©gard des victimes assassinĂ©es dans des conditions abominables. Nous de mĂȘme, nous sommes les dĂ©biteurs de tous ces rescapĂ©s, ils ont subi lâhorreur et notre dette envers âlâhumainement humainâ engage chacun de nous au souvenir et au devoir de mĂ©moire.
Câest une confession.
Notre dĂ», Ă lâĂ©gard du passĂ©, requiert un rĂ©tablissement authentique des Ă©vĂšnements, une oreille tendue et attentive aux tĂ©moignages si poignants, si tragiques.
Lâexigence dâun impĂ©ratif du souvenir relĂšve-t-il dâune mĂȘme directive que lâimpĂ©ratif concernant le travail de mĂ©moire historique ?
Ă juste titre, les historiens, dans leur ensemble, reconnaissent que la morale vindicative, du principe de souvenir, ne peut nous libĂ©rer de nos obligations quant Ă la mĂ©moire mise en Ćuvre. LâHistoire nous aide Ă construire un savoir, non point comme sujet moralisateur mais comme une prise en compte des valeurs et vertus Ă mettre en actes. Il faut comparer, entre elles, toutes les sources et les dossiers, Ă©tudier les conjectures, afin dâempĂȘcher que sâĂ©tablisse une pensĂ©e doctrinaire.
Le danger premier, phĂ©nomĂšne probant, est la rĂ©cupĂ©ration, politique ou sociologique, du devoir de mĂ©moire. Une maniĂšre pour des groupes culturels, spĂ©cifiques, de faire entendre leur voix, de rappeler leur existence, dâexiger une reconnaissance, une indemnisation. La question identitaire peut trĂšs vite sâaccaparer le devant de la scĂšne avec le devoir de mĂ©moire, abandonner le sentiment dramatique universel de lâĂ©preuve humaine, pour un combat litigieux et singulier de lĂ©gitimation face Ă dâautres identitĂ©s.
Par malheur, lâorigine du devoir de mĂ©moire est toujours assujettie Ă un souvenir traumatique.
Elle concerne chacune des victimes de génocide.
Lâoubli est une menace.
Lâoubli est une blessure envers une entitĂ© culturelle.
Ă ce propos, rĂ©itĂ©rer sans cesse le devoir de mĂ©moire nâĂ©met en fait quâun dĂ©sarroi identitaire.
Lors des cĂ©rĂ©monies commĂ©moratives, le souvenir est rassurant, sa prĂ©sence rassemble la communautĂ© et lui permet de se dĂ©fendre contre lâoubli de sa propre identitĂ©.
Nous ne devons pas oublier les dĂ©portĂ©s, les victimes massacrĂ©es, les Juifs, les ArmĂ©niens, les Tutsis, les Harkis, et beaucoup dâautres malheureusement. Il est une vertu, Ă la fois, Ă ne pas oublier et Ă se souvenir. Il est essentiel de les servir pour devenir de meilleurs ĂȘtres humains.
« La plupart des hommes et des femmes consacrent peu dâinstants Ă rĂ©flĂ©chir sur le passĂ©, par consĂ©quent il est rare que de salutaires douleurs les rendent plus sages » (Samuel Johnson ; Le paresseux 1760). Certains post modernes soutiennent que lâoubli est une bĂ©nĂ©diction et que se souvenir est une entreprise dangereuse et coĂ»teuse. Les individus et les sociĂ©tĂ©s nâauraient une chance de progresser que dans la mesure oĂč ils oublient les Ă©vĂ©nements du passĂ© pour regarder vers lâavenir. Dans un monde oĂč nous sommes exhortĂ©s Ă crĂ©er des millions de souvenirs instantanĂ©s, uniquement pour ĂȘtre consommĂ©s et jetĂ©s le moment suivant, lâoubli semble ĂȘtre non seulement un fait mais aussi une vertu â une vertu qui peut nous aider Ă Ă©chapper aux horreurs du passĂ©.
Le peut-on vraiment ?
Lâoubli est certes un trait humain fondamental.
Avec le temps, nous oublions des choses. Et cela nous aide Ă surmonter les moments de tristesse et de deuil.
Pouvez-vous imaginer vivre la mĂȘme intensitĂ© de chaque Ă©vĂ©nement triste, ou perte tragique, survenus tout au long de votre vie ?
Il serait impossible de vivre, de nouer de nouvelles amitiĂ©s ou mĂȘme dâĂ©crire un nouveau mail. Nietzsche avait raison de dire que « sans oubli il est tout Ă fait impossible de vivre du tout ».
Oublier peut ĂȘtre une bĂ©nĂ©diction !
Il ne fait aucun doute que lâHistoire a Ă©tĂ© manipulĂ©e pour justifier lâinjustice et lâoppression. Les nazis en Allemagne et les fascistes en Italie ont utilisĂ© lâhistoire nationale pour crĂ©er des monuments de monstruositĂ© idĂ©ologique. La violence nationaliste joue sur une lecture machiavĂ©lique de lâHistoire.
LâHistoire peut ĂȘtre un outil dangereux.
LâHistoire ne manque pas de choses qui se sont terriblement Ă©garĂ©es.
Elle nous mettait en garde contre la rĂ©pĂ©tition de ces mĂȘmes erreurs, comme si rien ne sâĂ©tait passĂ© avant nous.
à bien des égards, cela fait écho au célÚbre dicton de George Santayana :
«Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter».
Mais Santayana nâa que partiellement raison.
Ceux qui connaissent bien lâHistoire peuvent aussi commettre dâhorribles erreurs.
Mais elle peut aussi ĂȘtre une source de bien.
Elle peut servir un objectif supĂ©rieur, au-delĂ de la politique opportuniste ou des stĂ©rĂ©otypes culturels. Cela peut nous aider Ă dĂ©passer nos perspectives Ă©goĂŻstes sur lâhistoire collective et les valeurs partagĂ©es. De maniĂšre plus profonde, se souvenir de ce qui est essentiel peut nous aider Ă rĂ©aliser qui nous sommes.
La tradition intellectuelle hĂ©braĂŻque considĂšre lâoubli et le souvenir comme deux traits humains clĂ©s qui nous permettent de rĂ©aliser notre humanitĂ©.
Lâhumain est un ĂȘtre oublieux et le remĂšde Ă cela est le souvenir, qui est, assez intĂ©ressant, liĂ© au souvenir et Ă lâinvocation du Divin.
Ce que nous oublions, câest notre alliance avec Dieu.
Ce dont nous devons nous souvenir, câest le lien qui sous-tend lâHistoire du monde et qui finit par le devenir !
Nous devons nous souvenir de ce qui est essentiellement bon, de maniÚre à nous libérer et nous enrichir, au lieu de nous emprisonner.
Les horreurs passĂ©es de lâHistoire ne peuvent pas ĂȘtre totalement effacĂ©es de nos souvenirs, mĂȘme si nous le voulons.
Et il nâest pas nĂ©cessaire dâaller Ă de tels extrĂȘmes.
Plus prĂšs de notre Ă©poque, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les horreurs de lâHolocauste, les gĂ©nocides au Rwanda et en Bosnie et ce qui se passe en Syrie aujourdâhui.
MalgrĂ© lâhorreur et lâagonie que ces souvenirs apportent, nous devons nous en rappeler pour ne pas oublier ce qui est bon pour nous en tant quâĂȘtres humains faillibles.
Certes, ce nâest pas une tĂąche facile.
Mais la clĂ© est de se remĂ©morer le mal sans ĂȘtre traumatisĂ© ni dĂ©tournĂ© par lui.
Il faut de la force intellectuelle et du courage moral pour affronter le mal et ne pas en ĂȘtre touchĂ©. Mais câest la vraie tĂąche.
Il est tout aussi important de se souvenir du bien, du noble et du beau afin de pouvoir mener une vie de raison, de vertu et de justice sans nous Ă©chapper dans un monde de rĂȘve.
Lorsque vous connaissez votre Histoire, vous ĂȘtes moins susceptible dâĂȘtre manipulĂ© et dâĂȘtre abusĂ©.
Des citoyens Ă©duquĂ©s sont essentiels si nous voulons une dĂ©mocratie saine. La dĂ©mocratie peut ĂȘtre dĂ©tournĂ©e et remplacĂ©e par une dictature nâimporte quand, nâimporte oĂč, si nous fermons les yeux et oublions notre Histoire.
Ne prenez jamais rien pour acquis, continuez Ă apprendre !!
« Parfois le Devoir de mĂ©moire fonctionne comme un anesthĂ©siant : il endort la (bonne) conscience, canalise lâindignation vers le passĂ©.     Tout occupĂ© Ă scruter les dĂ©funtes annĂ©es, on sâabstient dâagir ici et maintenant. » (Sylvain Tesson GĂ©ographie de lâinstant 2012)
RĂ©daction francophone Infos Israel News pour lâactualitĂ© israĂ©lienne
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