« Nous n’avons jamais connu une telle haine » : les Juifs d’Irlande sous le choc face à une vague d’antisémitisme sans précédent

Le débat autour du changement de nom du « Herzog Park » à Dublin n’était qu’un symptôme. Depuis deux ans, la petite communauté juive d’Irlande vit une montée brutale de l’antisémitisme, si soudaine et si violente qu’elle en demeure sonnée. Pour beaucoup, la tentative de retirer le nom du président israélien d’origine irlandaise, ‘Haïm Herzog’, n’était pas une simple décision administrative : c’était un signal, une manière de désigner publiquement les Juifs comme responsables des événements au Moyen-Orient. Un climat que deux responsables communautaires — Oliver Sears et Maurice Cohen — ont décrit sans détour lors d’un entretien à Ynet : « Les Juifs d’Irlande n’ont jamais vu une haine pareille. Nous sommes en état de choc ».

Oliver Sears, fondateur du Holocaust Awareness Ireland et installé depuis quarante ans à Dublin, a expliqué que la situation a radicalement changé depuis les attaques du 7 octobre 2023. « Ces deux dernières années ont été extrêmement difficiles », affirme-t-il. Il décrit un pays où les débats politiques se sont durcis au point d’alimenter une rhétorique antisémite assumée, souvent dissimulée derrière un discours « anti-israélien ». La tentative de renommer le parc Herzog — sans justification urbanistique, sans demande publique, sans consultation — apparaît, selon lui, comme une punition symbolique infligée aux Juifs du pays. « Ce n’est logique sous aucun angle, dit-il. C’est une sanction collective ».

Cette affaire a provoqué l’indignation parce qu’elle touche à l’histoire même de la présence juive en Irlande. ‘Haïm Herzog’, né à Belfast, élevé à Dublin, fut soldat, diplomate, président d’Israël — mais aussi un enfant des écoles irlandaises, un représentant de ce que cette communauté a apporté au pays. Maurice Cohen, président du Jewish Representative Council of Ireland, rappelle que Herzog « est un fils de Dublin, un homme dont la contribution à l’Irlande devrait être source de fierté ». Pour lui, ce geste aurait été impensable envers n’importe quelle autre minorité. « C’est une forme d’effacement, qu’il soit volontaire ou non. C’est la suppression symbolique de notre histoire ».

La communauté juive d’Irlande est minuscule — environ 2 500 personnes selon les estimations, dispersées entre Dublin, Cork et quelques villes secondaires. Une taille qui rend chaque attaque plus lourde, car il n’existe aucun anonymat collectif pour absorber le choc. Depuis 2023, plusieurs observateurs, dont le Times of London et le Guardian, ont noté une explosion des actes hostiles : insultes en pleine rue, agressions verbales dans les hôpitaux, discours haineux à l’université. Le Jewish Chronicle a recensé en 2024 un triplement des incidents antisémites par rapport à l’année précédente, un phénomène inédit dans l’histoire moderne du pays.

Maurice Cohen confirme ce sentiment d’insécurité croissante. Jusqu’ici, dit-il, les agressions physiques restent rares, mais « l’atmosphère elle-même a changé ». Les insultes à l’université, les humiliations dans certains services de santé, les remarques menaçantes dans les écoles : une accumulation de petites violences qui transforme le quotidien en terrain d’inquiétude. Il explique également que la radicalisation de certains milieux militants a créé une pression psychologique forte, notamment sur les jeunes juifs, souvent confrontés à des slogans hostiles dans les campus.

Ce basculement irlandais s’inscrit dans une tendance plus large en Europe. Depuis les attaques du Hamas et la riposte israélienne à Gaza, la quasi-totalité des pays du continent ont enregistré une hausse historique des agressions antisémites. En France, le ministère de l’Intérieur a parlé d’une « explosion » des incidents ; en Allemagne, l’Oberrabbiner Pinchas Goldschmidt a alerté sur un « glissement inquiétant » ; au Royaume-Uni, le Community Security Trust a recensé 4 103 actes antisémites en 2024, le chiffre le plus élevé jamais enregistré. L’Irlande, traditionnellement considérée comme un pays accueillant, se retrouve emportée par cette vague.

Ce qui frappe dans les témoignages irlandais, c’est l’absence de colère : on y lit surtout une immense lassitude. Les Juifs du pays ne réclament ni privilège ni exception, seulement la possibilité de vivre leur identité sans devenir les otages d’un conflit extérieur. « Nous ne sommes pas responsables de la politique israélienne, dit Oliver Sears. Et pourtant, nous sommes ciblés comme si nous en étions les porte-parole ». Les responsables communautaires insistent d’ailleurs sur leur engagement à maintenir le dialogue avec les autorités. Ils refusent pour l’instant de parler d’émigration, même si plusieurs familles s’interrogent en privé sur leur avenir en Irlande.

Une tension supplémentaire provient du monde universitaire. Plusieurs étudiants juifs signalent que certaines associations pro-palestiniennes adoptent des postures de plus en plus agressives, excluant les étudiants juifs des débats ou les assimilant à des soutiens automatiques de l’État d’Israël. « Pour nos enfants, dit Cohen, l’école et l’université sont devenues des lieux de vigilance permanente ». Cette situation rappelle celle observée aux États-Unis, où des campus prestigieux comme Columbia ou Harvard ont été accusés par des organisations juives — et par plusieurs enquêtes parlementaires — de ne pas protéger suffisamment leurs étudiants.

Pour autant, la communauté irlandaise refuse de céder à la panique. Des échanges intensifs ont été engagés avec la municipalité de Dublin, et le projet de retrait du nom Herzog a finalement été abandonné. Mais le traumatisme demeure : pour la première fois depuis des décennies, les Juifs d’Irlande se sentent exposés. Et si la situation politique venait à se radicaliser encore, beaucoup craignent un point de rupture.

Ce qui se joue aujourd’hui en Irlande dépasse le symbole d’un parc ou l’agitation d’un conseil municipal. C’est la question de la place du judaïsme dans une société européenne confrontée à la polarisation politique, aux conflits identitaires et à la montée de discours simplistes. Une société où la nuance disparaît et où les minorités deviennent les premières victimes de la confusion morale. Pour les Juifs d’Irlande, l’heure n’est pas au repli, mais à la vigilance — et à la défense ferme de leur droit à exister en paix, sans être pris en otage par les passions du moment.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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