Lors de mon dernier article (« L’archet de Noé »), je vous ai parlé de l’ordre donné par D-ieu à Noah’ de « sortir du mot » et ce n’est pas un hasard si les quatre premières lettres de la Paracha suivante en sont l’illustration parfaite pour nous en indiquer l’un des modes d’emploi!.

 

Il nous faut en effet comprendre que l’injonction divine “Lèkh lékha…” (…לך לך – en français: “Va…”) faite à Avram (Béréchith XII, 1) – ne devenant Avraham (“Père d’une multitude de nations”, selon Béréchith XVII, 5) que vingt-quatre années plus tard – marque les prémices “historiques et spirituelles” du “Peuple spécial/particulier”(1) et implique une “avancée”, un “mouvement”, une “recherche” obligatoire pour tout juif qui se respecte ! En effet, ces deux petits mots, en hébreu, s’écrivent de la même façon : “lamed” (ל) et “khaf” (ך – la forme de cette lettre “khaf” כ – variant quand elle se situe à la fin d’un mot). La traduction de cet ordre n’est pas sans difficultés et, pour essayer de l’expliquer dans toutes ses subtilités, il faut d’abord saisir ce que l’acceptation de cette Mitzvah, par le premier de nos trois Patriarches, implique : il s’agit d’un engagement sans retour possible, un point de rupture, car il doit – comme indiqué par la suite dans Béréchith XII, 1 – quitter son pays, son lieu natal, la maison de son père. (Bien qu’on puisse supposer que, âgé de 75 ans, Avram “n’habitait plus chez ses parents”, il faut remarquer que les liens unissant le “clan familial” étaient alors bien plus solides qu’ils ne le sont à notre époque actuelle (2) !) Or, en ces temps lointains, les expatriations ne bénéficiaient pas des excellents services de El Al qui permettent, sur un coup de tête ou de cafard, de revenir au point de départ en quelques heures à peine.

 

Pour les juifs, le commencement se situe donc dans la soumission à la volonté divine : “Accepter sa souffrance et sa mission, l’accepter avec déchirement, mais accepter. Quitter ceux qui persécutent pour devenir persécuté. Se laisser haïr par les autres, par les méchants, c’est, pour le juste, le seul chemin vers la crainte de D‑ieu. (…) Devenir un autre que soi-même, s’accepter dans la haine de son entourage, s’abandonner au mépris, à la moquerie, aux coups, au supplice, c’est vivre constamment avec D‑ieu” (Emmanuel – “Commentaires juifs des Psaumes”)… ce qui ne veut pas dire que, tout en restant fidèle aux limites de la Torah, on ne puisse se défendre dans la mesure de ses moyens ! Au prix de ce pacte – et à ce prix seulement – peut alors s’établir un dialogue franc, mais respectueux (3), où le contact avec le Créateur n’est plus une relation de “Maître à esclave”. En effet, la Brith (“l’Alliance”) proposée à Avraham et à ses descendants implique que chacun fasse sa part de travail et comme dans toute entreprise bien gérée – Car nous nous situons (4) dans le “monde de l’action” ! – l’actionnaire minoritaire a voix au chapitre… même si la décision finale revient à l’Actionnaire principal devenu, par la force d’un partenariat bien compris, une sorte de “Compagnon de route” !

 

Pourtant, si la “crainte” du “principal Investisseur” existe bel et bien, la soumission – le respect – qui Lui est dû ne doit pas tomber dans une servilité mal comprise. Ainsi, “…à côté du Chéma, la principale prière juive, la seule prière – en réalité – au sens courant du terme, s’appelle la Amida : la prière Debout… alors que, pour prier, les chrétiens se mettent à genoux et les musulmans se prosternent. N’était-ce tous ses autres sens implicites, l’injonction“Lèkh lékha…” faite à Avram pourrait se comprendre dans le monde spirituellement paralysé où il vivait – où nous vivons – comme un “Lève-toi et marche !”

 

Mais, revenons à cette injonction pour en étendre toute la portée. Le premier mot de celle-ci, “Lèkh” (לר), vient du verbe halakh (הלך – “aller”). Oui, mais voilà ! Déjà ça se complique car cette expression n’est employée que pour la marche et non pour les voyages. (Donc, pas question de l’employer – par exemple – pour décrire un de ces déplacements ferroviaires modernes où l’on n’a même plus le temps de “voir passer les vaches” ou même – Soyons sérieux ! – pour une chevauchée.) Ainsi, il était demandé à Avram de se déplacer par lui-même, selon sa propre cadence, sans se presser, vers un but… mais tout en s’éloignant progressivement définitivement de son point de départ. Mieux ! La précision s’affine quand on apprend que les mots halakh et halakha (הלכה – “ensemble des règles et de la jurisprudence du judaïsme”) ont la même racine hébraïque (“hey” ה, “lamed” ל, “khaf”כ ou ך si le כ est en fin de mot). Car la route empruntée par le Patriarche est comparable à celle tracée par Hachèm pour ses « élus » spirituels : un juif se doit de progresser par lui-même dans l’étude de la halakha (S’il s’y adonne avec zèle et application, cela ne peut que… “marcher” !), selon sa propre cadence (Certains ont l’esprit moins vif que d’autres !), sans se presser (Surtout ne pas courir, s’astreindre à “lire entre les lignes”, voire “entre les lettres” (5), et se fier à ce que d’autres – plus “érudits” – ont déjà défriché… Des “réformistes”, dans l’Histoire, ont voulu prendre des raccourcis en n’étudiant que le texte brut de base, faisant fi des commentaires et de la langue originelle, et on sait ce que cela a donné !), vers un but (Car notre monde n’aurait pas de sens s’il n’avait une finalité !) mais tout en s’éloignant progressivement définitivement de son point de départ (Il existe des adeptes du “cheminement intellectuel” qui entament la “longue marche”, sans bouger de leur position et par “écran(s) interposé(s)”, en espérant trouver dans les difficultés des autres participants des “raisons” qui les confortent dans leur statisme). Tout cela, et les renoncements que cela implique, expliqué en deux lettres !

 

Quant au mot “lékha”, il semble de prime abord inutile car, en hébreu, il suffirait de dire “Lèkh !” (“Va !” ou, plus exactement, “Taille-toi !”, expression française plus adaptée quand on sait l’environnement spirituel néfaste dans lequel vivait Avram). Dans le contexte, “lékha” doit donc se traduire par “vers toi-même” (commentaire de Rabbénou Ya’acov Abouh’atséra), “pour toi” (commentaire de Rachi : “Pour ton profit et pour ton bien…”) ou encore “Pour toi seul” (commentaire du Rav Elie Munk). A la lumière de ces divers sens possibles, il nous faut en déduire que D‑ieu indique en substance à Avraham (et au Peuple juif qu’il porte) : “Sois prêt à te déplacer par toi-même, selon ta propre cadence, sans te presser, vers un but mais tout en t’éloignant progressivement définitivement de ton point de départ… au plus profond de ton moi, ton individualité propre, pour ton profit et pour ton bien mais sans en espérer une quelconque reconnaissance ou récompense des autres.”

 

Quatre petites lettres dont l’étendue, le sens profond, peut échapper au “fils qui ne sait pas (se) poser de questions”, à celui dont « l’électro-encéphalogramme juif » est passif. Pourtant, sans questionnement, pas de Téchouva (“Réponse”) possible !

 

Yéh’ezkel Ben Avraham

 

1) La Torah nous indique qu’il existe originellement 70 nations dont toutes les autres sont issues, pas une seule de plus… en dehors d’Israël qui est un peuple non pas “élu” (sinon dans le sens de “choisi” comme “élire domicile”) mais “spécial” (en hébreu: עם המיחד Am ha-miouh’ad, c’est-à-dire “Peuple spécial/particulier”). Comme pour confirmer cette différence, nos Sages représentent souvent Israël “comme un agneau au milieu de 70 loups” et soulignent qu’une telle situation – où “l’agneau survit tout au long de l’Histoire alors que les loups qui l’attaquent disparaissent” – ne peut se concevoir selon l’ordre naturel et historique des choses.

 

2) En lisant ce passage de Béréchith, le lecteur attentif notera une possible “erreur” mathématique. En effet, il est dit dans  Béréchith XI, 26 que Térah’, le père d’Avraham, a “vécu 70 ans”. Mais, au verset 32, il est dit “Les jours de Térah’ avait été de 205 ans, et il mourut à H’arân”. (On vivait très vieux à cette époque et si les gouvernements avaient dû payer les pensions à partir de 60 ou 65 ans, ils auraient vite fait faillite !) Dans son commentaire sur  Béréchith XI, 32, Rachi explique : “ET TERAH’ MOURUT A H’ARAN : Après qu’Avram eut quitté H’arân, fut arrivé en Canaan et y eut demeuré plus de 60 ans. En effet Avram avait 75 ans lorsqu’il quitta H’arân (Béréchith XII, 4). Térah’ en avait 70 à la naissance d’Avram. Térah’  avait donc 145 ans lorsqu’Avram quitta H’arân. Il lui restait donc encore bien des années à vivre. Pourquoi alors la Torah a-t-elle placé la mort de Térah’ avant le récit du départ d’Avram ? C’est pour ne pas donner de la publicité à ces faits et que les gens ne disent : Avram n’a pas accompli le devoir d’honorer son père puisqu’il l’a laissé dans la vieillesse pour partir. C’est pourquoi la Torah le donne dès maintenant pour mort. Les méchants en effet même de leur vivant sont appelés morts, et les justes même après leur mort sont appelés vivants. Ainsi qu’il est dit : Benayahou fils de Yéhoyada fils d’un homme vivant (II Chmouel XXIII, 20)”.

 

3) D’Adam jusqu’à l’époque dAvram à l’exception d’un bref échange de paroles avec Adam (Béréchith III, 9-13) et avec Caïn (Béréchith IV, 13) – l’homme se confie aveuglément à la “main de D‑ieu”, Le laisse monologuer, Lui obéissant (ou “Lui désobéissant”) en en acceptant, sans piper mot, tout ce qui en découle et même un juste comme Noah’ n’intervient pas pour plaider contre la destruction de la race humaine ! (Béréchith VI, 22.) Avec Avraham, Ytzh’ak, Ya’akov et leurs descendants, cette situation change et ils n’hésitent pas à mettre leur “grain de sel” – comme dans le cas de Sodome, qui se trouvait aux environs de la Mer Morte, en hébreu Yam hamelah’ / ים המלח, c’est-à-dire “Mer de sel” – dans les prises de décisions divines. Ainsi, “Israël combat avec D‑ieu” comme Ya’acov (Béréchith XXXII, 25-33) et s’oppose ardemment à Lui, comme deux fois le fit Moché (Chémoth XXXII, 10-14 et Bémidbar XIV, 10-20) ; il dispute avec D‑ieu, comme Avraham (Béréchith XVII, 22-23) et lui fait des reproches, comme David (I Divré hayamim XXI, 16-17) ; il proteste avec vigueur, comme Yéhochou’a (Yéhochou’a VII, 6-10) et se révolte, comme Guidéon’ (Choftim VI, 12-14)”. C’est qu’ils ont compris que le “destin” n’est pas seulement dans la “main de D‑ieu” mais qu’il est aussi dans les mains des hommes !

 

4)“Le monde dans lequel nous vivons habituellement, avec tout ce qu’il contient, est appelé le monde de l’action  – étymologiquement le monde du faire, à la fois par ce qu’il a été fait par D‑ieu et parce que c’est là que les hommes peuvent agir (…) Ce monde-là, cependant, n’est qu’une des quatre structures d’un système général qui comprend quatre dimensions fondamentales de l’être – quatre mondes différents – dont chacun constitue un univers particulier fait de diverses modalités d’être. Ces autres mondes sont classiquement appelés, de haut en bas : émanation, création, formation et action – en hébreu : Atsilout, Yètsira, Béria et Assya (…) Trois données sont communes aux quatre mondes. Ces données sont traditionnellement désignées sous le nom de monde, année et âme – en hébreu : olam, chana et néphèche. On dirait aujourd’hui : l’espace, le temps et le moi, en entendant par ce dernier terme l’expérience de l’être propre à chacun” (Rav Adin Steinsaltz/Even-Israël – “La Rose aux treize pétales”).

 

5) La Torah ché-bihtav (écrite) est l’exacte transcription, par Moché Rabbénou, de la “Parole de D‑ieu” : elle ne peut donc qu’être parfaite, tout étant à sa vraie place, sans rien d’inutile. C’est pourquoi la lecture d’un texte de la Torah peut se faire selon diverses “lumières” ! On peut certes la lire, en hébreu, selon le sens simple et littéral du texte (En tenant cependant compte de son entièreté, du contexte, de ce qui a été et qui sera ensuite rapporté !) mais aussi en se référant aux “racines” des mots, au changement de leur “graphie défective” (Les voyelles, souvent absentes de ceux-ci dans les écrits originaux, n’ont été que par la suite remplacées par des signes permettant de les vocaliser !), voire de leur “graphie pleine” (Pourquoi, par exemple, le “yod” – י, le “i” hébraïque – se trouve-t-il dans un mot alors qu’il ne se trouve pas, à une autre place, dans le même mot ? Pourquoi telle lettre a-t-elle une “graphie pleine” légèrement différente de la “graphie pleine” usuelle ?), à la correspondance “acrostiche” et/ou ésotérique de ceux-ci ou même à la corrélation mathématique de la somme des lettres entre deux mots (Chaque lettre, en hébreu, à une équivalence numérique !) Bien sûr, pour compliquer un peu plus la recherche, la disposition grammaticale de la phrase n’est pas sans importance (Ainsi, dans la première phrase de la Torah : Béréchith bara Elok/him èt hachamayim vé èt haaretz – littéralement : “Au commencement créa D‑ieu le Ciel et la Terre…” – on se demande pourquoi il n’a pas été écrit “D‑ieu créa au commencement le Ciel et la Terre…” et pourquoi c’est la lettre “bèth”, deuxième de l’alphabet hébraïque, qui a été choisie plutôt que le “alèph”, qui est la première, d’autant qu’en mettant le nom de D‑ieu – le nom employé pour la Création est Elok/him, אלקים – en tête de phrase, le “alèph” présidait alors à tout le texte!) et, parfois, il ne faut pas tenir compte de l’espace entre deux mots ou l’inverse !  Pour couronner le tout – et bien que cette description des méthodes d’interprétations ne soit pas exhaustive – on a décrypté dernièrement, dans les textes de la Torah, un “code secret” qui, en tenant compte d’un intervalle régulier d’un certain nombre de lettres, annonce des événements postérieurs à de multiples reprises (Par exemple, dans le passage XLVIII, 13 à XLIX, 10 de Dvarim, on retrouve – avec une probabilité mathématique quasi nulle d’un “hasard” – le nom de Ytzh’ak Rabin, sa date exacte de naissance, le mot “il sera assassiné”, le mois et l’année de son décès, le nom de Ygal Amir son meurtrier présumé , le nom de l’agent provocateur qui l’a incité à commettre son geste – Avichaï Raviv – et le mot “il assassinera” !), événements passés et contemporains que, même en possédant le code, personne ne pouvait prévoir à l’époque où fut rédigée la Torah. (Qui connaissait – sinon D‑ieu – les noms de Avichaï Raviv, Ygal Amir et le mois, ainsi que l’année, de cette “actualité” avant qu’elle ne se produise ?)

 

Par Yéh’ezkel Ben Avraham pour Alyaexpress-News