« Qui empêchera qu’il abandonne des agents du Mossad ? » : l’affaire qui menace la nomination de Roman Gofman

La nomination du général Roman Gofman à la tête du Mossad devait être une formalité. Elle est devenue, en quelques heures, l’un des dossiers les plus sensibles de la scène sécuritaire israélienne. Au cœur de la tempête : l’affaire Almakias, une histoire troublante d’un adolescent de 17 ans utilisé dans des opérations d’influence et de renseignement, puis abandonné aux bras du Shin Bet et de la justice, avant d’être totalement blanchi. Une affaire ancienne, mais qui rejaillit aujourd’hui avec une brutalité inattendue, remettant en cause la probité d’un homme appelé à diriger l’un des services les plus exigeants du monde.

Tout commence lorsque le Premier ministre Benyamin Netanyahou officialise le choix de Gofman, jusque-là secrétaire militaire du chef du gouvernement. Quelques minutes plus tard, un message circule sur les réseaux : celui d’Ori Almakias, aujourd’hui jeune adulte, autrefois adolescent brillant d’Ashkelon, créateur d’un canal Telegram spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient. Il accuse Gofman, sans détour, de l’avoir « abandonné » après l’avoir fait travailler pour l’armée dans des missions mettant sa vie en danger. « Il a nié tout lien et m’a laissé tomber. À cause de lui, j’ai passé un an et demi en détention, dont 44 jours en cellule du Shin Bet. J’avais 17 ans », écrit-il.

Ce témoignage brutal ouvre une boîte noire longtemps refermée. En 2024, le quotidien Haaretz avait révélé les dessous de cette affaire : un officier de l’armée, opérant sous le commandement de Gofman lorsqu’il dirigeait la division 210 au Nord, avait approché le jeune Almakias pour diffuser, via son canal, des informations sélectionnées par l’armée. Considéré comme un prodige des réseaux sociaux, parlant arabe, suivi par des milliers de lecteurs, il devient un relais efficace pour diffuser des messages vers des cibles à l’extérieur des frontières. Une pratique connue dans le monde du renseignement moderne, mais extrêmement sensible lorsqu’elle implique un mineur.

Selon les documents révélés, Almakias aurait reçu des informations de soldats et d’officiers réguliers pour les diffuser, parfois même pour contacter des sources dans des pays ennemis. De l’autre côté du système sécuritaire, le Shin Bet, ignorant ce canal officieux, s’alarme : des informations classifiées circulent en ligne. Une enquête est ouverte sans que l’unité de Gofman ne signale le dispositif qu’elle avait elle-même mis en place. C’est là que la mécanique déraille.

En 2022, en pleine nuit, des agents du Shin Bet se présentent au domicile du jeune homme. Almakias est arrêté pour crimes sécuritaires graves : possession d’informations sensibles, transmission de renseignements classifiés, risques pour la sécurité nationale. Il est privé d’avocat, placé en cellule d’interrogatoire, et reste 44 jours entre les mains du service avant d’être transféré vers une détention à domicile drastique. Pendant ce temps, il répète inlassablement qu’il était « activé par l’armée ». Personne ne le croit. Il n’a même pas accès à son propre téléphone portable pour prouver ses paroles.

Ce n’est qu’après des mois de bataille judiciaire, menée par ses avocats Orit Hayoun et Din Kochavi, que l’appareil se grippe : le téléphone est enfin récupéré et analysé. Les conversations avec les deux militaires apparaissent. Le lien avec la division 210 se confirme. Et un élément crucial surgit : selon le Haaretz, le feu vert initial pour travailler avec le mineur avait bien été donné par Gofman. Une autorisation niée par l’intéressé, qui affirme ne pas avoir connu l’identité véritable du jeune homme et avoir strictement interdit toute transmission d’éléments classifiés.

Au terme de cette saga, le parquet militaire revient sur l’acte d’accusation. Almakias est totalement blanchi. Gofman, lui, reçoit un blâme disciplinaire pour « dépassement de ses prérogatives » dans sa gestion d’un civil dans un cadre opérationnel. L’affaire semble close. Jusqu’à aujourd’hui.

Avec son retour dans l’actualité, les critiques prennent un tour politique et moral. Pour les avocats du jeune homme, la nomination de Gofman au Mossad constitue « un danger pour la sécurité de l’État ». Ils affirment que l’armée a utilisé un mineur pour diffuser des messages à destination d’organisations hostiles, avant de l’abandonner lorsque la situation s’est retournée. Dans un communiqué sévère, ils demandent : « Qui empêchera Gofman d’abandonner des agents du Mossad si une opération tourne mal ? »

L’armée, de son côté, défend son processus : elle rappelle que l’affaire a été traitée « conformément à la loi, sous supervision du tribunal » et que « la participation de Gofman a été mineure ». Le blâme disciplinaire, selon Tsahal, reflète un manquement strictement administratif, non un dysfonctionnement majeur. Le procureur en charge du dossier affirme pour sa part que des éléments nouveaux, transmis tardivement par des acteurs sécuritaires, ont justifié l’abandon des charges.

Au-delà du débat juridique, une question profonde transparaît : la confiance. Pour diriger le Mossad, il ne suffit pas d’être un tacticien brillant ou un officier aguerri. Il faut une capacité absolue à protéger ses agents, à assumer ses décisions, à rendre des comptes. L’affaire Almakias frappe précisément à cet endroit fragile. Dans un Israël encore traumatisé par les échecs du 7 octobre, l’idée qu’un responsable puisse avoir abandonné un opérateur – même adolescent – est un traumatisme politique en soi.

Ce dossier, qui aurait pu rester un incident marginal, pourrait maintenant peser lourd dans les discussions internes. Les ennemis d’Israël observent chaque signe de fragilité institutionnelle ; pour un pays entouré de menaces, la robustesse des services de renseignement n’est pas une abstraction. La nomination de Gofman, souhaitée par Netanyahou, devra désormais surmonter un climat de suspicion public, médiatique et juridique.

Reste à savoir si cette affaire, vieille de trois ans mais jamais totalement digérée, empêchera réellement l’entrée en fonction de celui qui était présenté comme un successeur naturel à la tête du Mossad. L’histoire le dira. Mais une chose est sûre : le débat ne fait que commencer.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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