Avec Rachel, juive de Lituanie, Philippe Arnon signe un roman à la fois bouleversant et implacable, qui redonne voix à une mémoire trop souvent enfouie : celle des juifs d’Europe de l’Est, broyés dans les engrenages idéologiques du XXe siècle. Loin des récits édulcorés ou strictement documentaires, l’auteur propose ici une œuvre où la littérature, l’histoire et l’humain se croisent dans un maelström de douleur, d’amour et de survie.
Rachel, héroïne aussi insaisissable qu’attachante, traverse les épreuves d’un siècle en ruines : domination soviétique, invasion nazie, reconquête russe et malheureusement, terrorisme islamique, puisqu’épuisée par l’espoir impossible à trouver en Europe, elle fera son alyah avec ses deux petits et ne sera pas plus épargnée par la douleur sur la terre d’Israël. Tout semble concourir à sa disparition, et pourtant, elle résiste. Elle perd tout — famille, amour, enfance — mais ne cède jamais tout à fait. Cette obstination à vivre, même à travers des choix ambigus ou moralement discutables, donne à son personnage une force troublante. En elle, le lecteur perçoit à la fois la candeur, la sensualité, la culpabilité et une immense détresse.
Le roman offre une traversée historique saisissante, décrivant avec une précision presque documentaire les grandes étapes de la persécution des juifs en Lituanie : les pogroms des années 1940, les camps, les trahisons internes, les violences politiques. Rachel est l’incarnation vivante de cette histoire collective. Elle passe entre les mains de ses bourreaux — russes, lituaniens, allemands Elle passe entre les mains de ses bourreaux -russes, lituaniens, allemands et musulmans— mais jamais n’abandonne complètement son humanité.
L’un des fils rouges du récit est sa relation avec Antanas, un homme plus âgé, qui la sauve, puis l’aime, puis l’épouse. Ce lien, entaché de culpabilité, de rivalité (notamment avec le fils de ce dernier, Gédiminas) et de douleur, offre au roman une charge émotionnelle saisissante. L’histoire de cette adolescente de 16 ans, confrontée à des choix d’adultes, parfois brutaux, soulève des questions éthiques complexes, mais terriblement humaines. Peut-on juger une âme perdue dans le chaos ? Est-ce un instinct de survie ou une trahison morale ? Arnon ne tranche pas : il expose, il révèle.
Les dons sont la bienvenue en cette situation particulièrement difficile :
À travers Rachel, c’est toute la mémoire juive européenne qui ressurgit : celle d’un peuple traqué, brisé, mais toujours debout. L’écriture, sans complaisance, est portée par une tension constante entre la froideur du fait historique et la chaleur incandescente de la fiction. La documentation est rigoureuse, mais ne prend jamais le pas sur la dimension romanesque, ce qui rend l’œuvre d’autant plus accessible.
Une voix engagée, un écrivain discret : Philippe Arnon
Philippe Arnon est un auteur français au parcours singulier. Docteur d’Etat en droit et passionné d’histoire contemporaine, il a longtemps exercé dans le monde de l’enseignement puis, ses 30 dernières années, comme agent commercial dans les pays d’Europe de l’Est et plus particulièrement dans les Pays baltes dont il connaît bien la géographie et les mentalités, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Son œuvre, peu médiatisée jusqu’à récemment, se caractérise par un profond humanisme et une volonté d’interroger les zones d’ombre de l’histoire européenne.
Rachel, juive de Lituanie est son livre le plus abouti et le plus ambitieux à ce jour. Publié en 2024 aux Presses de la Délivrance, il a été préfacé par Serge Klarsfeld, figure majeure de la mémoire juive en France, ce qui en dit long sur la portée du texte. Arnon n’est pas juif, mais son écriture témoigne d’un attachement sincère à ce peuple, à sa mémoire, à sa souffrance. Il écrit avec empathie, sans condescendance ni projection. Il donne à voir, à comprendre, et à sentir — dans le sens le plus incarné du terme.
Avec ce roman, Philippe Arnon s’impose comme une voix littéraire et morale à suivre. Une voix qui, sans bruit, parvient à faire résonner les cris étouffés de l’Histoire.
Par Sabrina Hania.

