AU REVOIR MON CHER REBBE-SIONISTE – Par RONY AKRICH

Il y a quelques jours, le 5 du mois de Yaar (2 mai 2017), Rabbi Israël Chalom Yossef Friedman Ben-Chalom, ùgé de 94 ans, décédait dans son petit appartement du quartier de Guilo, à Jérusalem.

Illustre personnage, anonyme du grand public, il n’en Ă©tait pas moins une personnalitĂ© significative du patchwork israĂ©lien. Dernier arriĂšre-arriĂšre-petit-fils survivant du renommĂ© maĂźtre hassidique du dix-neuviĂšme siĂšcle, Rabbi IsraĂ«l de Rouzhyn (1796-1850), le «Rabbi Pachkan», tel Ă©tait son titre, demeurera Ă  jamais une Ă©nigme ou plutĂŽt une Ă©quation Ă  nombre d’inconnus pour l’ensemble du monde hassidique.

Ce n’est certes pas le fruit du hasard si ce rabbi singulier nous quitta le jour anniversaire de la dĂ©claration de l’indĂ©pendance d’IsraĂ«l, le « Admour haTsioni » (le rabbi sioniste) fut, tout au long de sa vie, dĂ©vouĂ© Ă  la cause sioniste et un fervent dĂ©fenseur de son idĂ©al. À l’inverse de tous les rabbins de sa gĂ©nĂ©ration auxquels il Ă©tait liĂ© de prĂšs ou de loin, une filiation royale pour les cours hassidiques, il dĂ©clara haut et fort sa vĂ©ritĂ©, il affirma sa sincĂ©ritĂ©.

Le Rabbi Friedman Ben-Chalom considĂ©ra non seulement « Yom Haatzmaut » comme une authentique journĂ©e de fĂȘte mais il dĂ©cida de rĂ©citer la priĂšre du ‘Hallel’ prĂ©cĂ©dĂ© de la bĂ©nĂ©diction adĂ©quate, durant l’office du matin de la journĂ©e d’indĂ©pendance.

Il Ă©tait pourtant un «Rabbi» hassidique Ă  part entiĂšre, un vrai «rebbé», descendant en droite ligne d’une des dynasties les plus aristocratiques qui soient, « Rouzhyn-Sadigura ». Son fondateur, le Rabbi IsraĂ«l, Ă©tait lui-mĂȘme un hĂ©ritier issu du dĂ©fricheur de ce mouvement, le Rabbi Dov Baer ‘Maggid de Mezeritch’ et disciple principal du concepteur du hassidisme, IsraĂ«l Baal Shem Tov. Ses leçons, ses doctrines, ses prĂ©ceptes permettent aux masses juives, incultes, d’approcher et de rejoindre ‘le JudaĂŻsme’. En recueillant le petit groupuscule des fidĂšles de son maĂźtre, le Rabbi de Rouzhyn vulgarise, rĂ©pand et amĂ©nage le mouvement naissant et va, peu Ă  peu, transformer ces soubresauts en une rĂ©elle dynamique qui inspirera la vie juive d’alors, dans toute l’Europe orientale.

Qui était Rabbi Friedman ben Chalom ?
Quel fut l’itinĂ©raire suivi par cet Ă©trange personnage ?
Comment devient-il l’Admour Sioniste ?

Il est nĂ© Ă  Bohußi, en Roumanie, en 1923, sa mĂšre et son pĂšre faisait partie de la postĂ©ritĂ© du Rabbi IsraĂ«l de Rouzhyn, quant au pĂšre de sa mĂšre, le rabbin Menahem Mendel, le cĂ©lĂšbre Rabbi de ‘Bohush’, il Ă©tait Ă©galement le premier cousin de son pĂšre.

Sa mĂšre meurt lorsqu’il a 9ans. Il est alors pris en main par ses grands-parents maternels chez qui il Ă©tudiera la Torah, accompagnĂ© d’un trĂšs vieux hassid prĂ©cepteur qui avait trĂšs longtemps soignĂ© les membres de la famille Rouzhyn, avant de commencer des Ă©tudes privĂ©es avec le mĂ©morable arriĂšre-grand-pĂšre du petit IsraĂ«l, dont il devint un adepte assidu.

Les chefs de file du mouvement hassidique de Rouzhyn soutenaient publiquement, avec enthousiasme, le retour physique des Juifs sur la Terre d’IsraĂ«l. A l’opposĂ© des innombrables leaders du mouvement, un grand nombre d’entre eux continueront d’appuyer ouvertement le mouvement sioniste, aprĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1890. La dynastie de ‘Bohush’ n’était pas diffĂ©rente des autres branches de ‘Rouzhyn’. Le jeune IsraĂ«l Chalom Yossef fut Ă©duquĂ© au sein d’un milieu suffisamment proche des aspirations sionistes pour adhĂšrer au principe de l’idĂ©e d’un foyer national juif en Palestine devant ĂȘtre reconnu par la SociĂ©tĂ© des Nations comme un Etat juif indĂ©pendant.

Peut-on y voir les raisons fonciĂšres de son engagement auprĂšs du mouvement de la jeunesse sioniste et sĂ©culiĂšre, « Hashomer Hatzair », oĂč il servira, d’une certaine maniĂšre, de ‘guide spirituel’? Selon les croyances familiales, on devait s’investir de façon concrĂšte et coutumiĂšre au cĂŽtĂ© de nos frĂšres juifs non pratiquants, afin de pouvoir les associer, Ă  nouveau, aux valeurs du JudaĂŻsme. Toutefois, on ne peut ĂȘtre que confondu face Ă  l’impudence de cet enfant dĂ©rivant d’une dynastie hassidique sans jamais rien avoir reniĂ© de ce qu’il fut prĂ©cĂ©demment. Le voici venu rejoindre une organisation sioniste militante, revendiquant Ă  tue-tĂȘte sa laĂŻcitĂ© et son cadre politique, sans oublier d’affirmer, non moins ouvertement, que le JudaĂŻsme Ă©tait une idĂ©e vĂ©tuste et dĂ©passĂ©e.

Il survivra aux annĂ©es de l’Holocauste Ă  Bucarest, en Roumanie, avec sa proche famille, c’est lĂ  qu’il rencontrera en 1944, l’un de ses lointains parents, le Rabbi de Viznitsh, Rav Chaim Meir Hager descendant, lui aussi, du Rabbi IsraĂ«l de Rouzhyn. En transit Ă  Bucarest, il tente Ă©perdument de fuir des mains des nazis qui le pourchassent.
Ce jour-lĂ , au sein mĂȘme de la tourmente, rien n’étant jamais le fruit du pur hasard, le jeune IsraĂ«l Chalom Yossef croise le regard de Tsipora, la plus jeune fille du ‘Vizhnitsher Rebbe’, qu’il Ă©pousera aprĂšs la guerre, en 1946.

Devinez oĂč?
Eh bien en Palestine mandataire ! Voyage difficile mais rĂ©ussi grĂące aux aides de l’immigration illĂ©gale, aucun de leurs parents ne put ĂȘtre prĂ©sent et c’est un rabbin yĂ©mĂ©nite qui cĂ©lĂšbrera le mariage.

En juin 1948, le jeune couple s’associe Ă  un groupe d’immigrants roumains et bulgares, survivants de la Shoa, pour fonder un kibboutz non-religieux dans la vallĂ©e de Bet-Shean et dont le nom sera ‘Reshafim’. Ils y resteront 18 ans, au cours desquels leur vie religieuse se dĂ©roulera uniquement dans l’antre familiale, dans leur foyer.

Toutes les cĂ©rĂ©monies religieuses comme les ‘bar-mitsva’ de leurs garçons se passeront dans la maison du pĂšre de Rabbi IsraĂ«l Chalom Yossef Friedman Ben-Chalom et de son oncle Rabbi Itshaq Friedman, le Rabbin de Bohush, qui habitait dans un petit quartier orthodoxe de la banlieue nord de Tel-Aviv, et avec lequel il entretenait de chaleureuses relations.

Le « Rebbe » et sa famille dĂ©mĂ©nagĂšrent ensuite vers le kibboutz religieux de Saad et passĂšrent Ă©galement un certain temps en France, au nom de l’Agence juive pour IsraĂ«l, prĂšs de Marseille. A son retour, fidĂšle Ă  sa curiositĂ© toute hĂ©braĂŻque, il dĂ©cide d’étendre sa culture gĂ©nĂ©rale et s’inscrit tout bonnement au dĂ©partement d’Histoire juive de l’UniversitĂ© de Tel Aviv. Quelques annĂ©es plus tard, il obtiendra son doctorat dans cette mĂȘme universitĂ© aprĂšs avoir soutenu une thĂšse portant sur: « L’influence politique de Beit Shammai dans la JudĂ©e du premier siĂšcle ».

Au cours des annĂ©es 70, suite au dĂ©cĂšs de son beau-pĂšre, fonciĂšrement antisioniste et l’une des voix forte de la mouvance, ‘Agudat Israel’, ultra-orthodoxe, la famille Friedman Ben-Chalom dĂ©cide de consacrer plus de temps Ă  la communautĂ© religieuse en IsraĂ«l. La sĂ©paration fut longue, mĂȘme trĂšs longue, plusieurs annĂ©es s’étaient Ă©coulĂ©es, il fallait donc maintenant renouer les liens, partager plus de quotidien avec la famille. Ils allaient ainsi retrouver peu Ă  peu les sensations, les sentiments, les senteurs d’un monde qui fut celui de leur prime jeunesse. Jamais ils ne pensĂšrent se replonger totalement au sein de ce mode de vie, ils dĂ©siraient tout simplement se rapprocher, se rĂ©concilier avec les leurs, rester fidĂšles aux uns et aux autres. En consĂ©quence de quoi et tout naturellement, au vu et au su des rapports trĂšs Ă©troits entretenus avec les clivages de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne, Rabbi Friedman Ben-Chalom et sa famille commencĂšrent Ă  servir de pont. Deux univers opposĂ©s par des annĂ©es de dĂ©fiance et d’aversion, pour les hassidim il s’agissait de ‘mĂ©crĂ©ants’, pour le monde sioniste ils reprĂ©sentaient tout ce qu’il fallait oublier de l’exil, commencĂšrent Ă  se rencontrer et Ă  ouvrir un possible dialogue.

Ayant pris sa retraite de l’éducation nationale, Rabbi Friedman Ben-Chalom et sa femme s’installĂšrent Ă  JĂ©rusalem et purent ainsi se rapprocher entre autre de leur fils Oshea Ben-Chalom, fondateur et rabbin du «kibboutz urbain: Beit IsraĂ«l » dans le quartier de Guilo Ă  JĂ©rusalem. Oshea est officier supĂ©rieur des forces armĂ©es israĂ©liennes et commandant en chef de l’ensemble du corps de rĂ©serve. Tous leurs enfants sont Ă  l’égal d’Oshea, des Juifs exceptionnels, de brillants IsraĂ©liens, charismatiques, Ă©clairĂ©s, passionnĂ©s et dĂ©terminĂ©s Ă  accomplir leur devoir. Ils persĂ©vĂšrent au quotidien dans cette quĂȘte d’un Ă©ventuel terrain d’intelligence entre le Juif d’hier et le Juif d’aujourd’hui, entre la notoriĂ©tĂ© du mouvement hassidique d’antan et le miracle de la renaissance de l’État d’IsraĂ«l.

Ils Ă©taient le fruit d’un amour, d’une fusion d’ĂȘtres, entre deux personnalitĂ©s plus que singuliĂšres. Ils furent nourris au sein d’une mĂšre issue d’une cĂ©lĂšbre lignĂ©e hassidique, Tsipora est la sƓur du Rabbi de Viznitsh (Vizhnitzer Rebbe de Monsey dans l’état de New York), la tante du Viznitzer Rebbe de Bnei Brak, du Satmar Rebbe (Monroe), ainsi que du Rabbi de Belz (New Square, NY). Ils furent tout autant inspirĂ©s par un pĂšre hors du commun.
Durant toutes ses derniĂšres annĂ©es, Rabbi Friedman Ben-Chalom, nommĂ©ment Rabbi Pachkan, consacra beaucoup de temps Ă  remĂ©morer et commĂ©morer la vitalitĂ© de ces ancĂȘtres, la dynastie des Rouzhyn. TrĂšs rapidement, ils furent de plus en plus nombreux Ă  participer au « Tish H’assidi » organisĂ© par le Rabbi de Guilo, ils venaient des quatre coins du pays, leurs horizons Ă©taient des plus diverses mais tous se sentaient aimantĂ©s par sa personnalitĂ© si originale. Hommes ou femmes, tous reconnaissaient son authenticitĂ©, son amour avĂ©rĂ© pour chaque enfant d’IsraĂ«l, aux yeux de beaucoup d’entre nous il incarnait prĂ©cisĂ©ment l’Histoire d’IsraĂ«l.

Il Ă©tait un prince en droite ligne de la royautĂ© hassidique, un maĂźtre docteur de l’Histoire juive, un soldat du devenir HĂ©breu et un vĂ©ritable sioniste, fier d’avoir travaillĂ© la terre et participĂ© Ă  la construction de l’État. Il voulait ainsi nous montrer le chemin Ă  suivre pour sublimer la terre vers son firmament et faire des cieux le Lieu magnifiĂ© de celle-ci, il tentait de nous prĂ©parer Ă  vivre l’ùre messianique au prĂ©sent.
C’était un vrai RebbĂ© hassidique, mais certainement d’une autre dimension, celle qui, surtout, se refusait au partage et Ă  la division. Il Ă©tait de ces ‘trĂšs peu’ de personnes qui, par leur vĂ©cu, nous prouvĂšrent que le tout et l’ensemble sont rĂ©ellement possibles dans notre Histoire.

VoilĂ  RebbĂ©, je finis Ă  peine de vous raconter trop succinctement que dĂ©jĂ  des larmes naissent dans mes yeux et inondent mon visage. Merci de nous avoir inspirĂ©s sur notre terre, merci d’avoir Ă©tĂ© une leçon de vie pour nous le peuple! Shalom Rabbi.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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