Les tombes des membres du kibboutz, dĂ©cĂ©dĂ©s depuis sa crĂ©ation en 1932, sont Ă une certaine distance du bord de la falaise, face au sud, en direction de JĂ©rusalem. Mais câest prĂ©cisĂ©ment lĂ , Ă lâextrĂ©mitĂ© est de la falaise, oĂč une clĂŽture avait Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e pour empĂȘcher la possibilitĂ© de tomber de la falaise, que Razek âAbd al-Qader, le musulman le plus sioniste de tous les temps, a atteint son dernier voyage, dans les hauteurs du Golan, quâil aimait tant.
Vingt-deux ans se sont Ă©coulĂ©s depuis lors, au cours desquels certains ont tentĂ© de dissiper le mystĂšre entourant Razek âAbd al-Qadir. Dans un article du journal Haaretz en 2009, Assaf Inbari, membre du kibboutz, a Ă©crit sur un musulman au nom hĂ©breu, Dov Golan, qui a Ă©tĂ© enterrĂ© dans le cimetiĂšre Afikim.
En 2018, je suis tombĂ© sur un article dâAvi Moshe Segal, un guide de Ramat Gan, qui a prĂ©parĂ© une visite dĂ©diĂ©e aux membres de la communautĂ© du renseignement qui travaillaient dans la rĂ©gion de la mer de GalilĂ©e. Segal a tentĂ© de recueillir plus dâinformations sur Dov Golan, mais nâa trouvĂ© que trĂšs peu de dĂ©tails.
Il a discutĂ© de la question avec lâhistorien et auteur Muki Tzur, membre du kibboutz Ein Gev, puis a transmis le matĂ©riel au Conseil pour lâavancement du patrimoine israĂ©lien (qui est dirigĂ© par lâauteur de ces lignes). Ces derniers mois, le conseil a menĂ© une enquĂȘte historique approfondie, retraçant le sort de Razek âAbd al-Qader, devenu Dov Golan. Cette recherche a engendrĂ© lâincroyable histoire qui se dĂ©roule ici.
LâarriĂšre-grand-pĂšre de Razek est nĂ© en AlgĂ©rie en 1809 et a reçu le nom dâAbd al-Qader. DĂ©jĂ enfant, il excellait dans ses compĂ©tences uniques : on disait quâil connaissait le Coran par cĆur, et dĂ©jĂ dans sa jeunesse, il avait la rĂ©putation dâun leader charismatique. En 1832, alors quâil nâavait que 23 ans, il avait dĂ©jĂ dirigĂ© la tribu barbare de Cabilla, et cette annĂ©e-lĂ , les anciens des tribus le choisirent pour mener la rĂ©volte contre les Français, qui avaient conquis le pays deux ans plus tĂŽt.
âAbd al-Qader est le chef des tribus depuis 15 ans. Il a Ă©tabli sur la majeure partie de lâAlgĂ©rie un Ătat islamique rĂ©formĂ©, avec un systĂšme Ă©ducatif ordonnĂ©, un systĂšme de collecte des impĂŽts et des infrastructures publiques, aux cĂŽtĂ©s dâune armĂ©e rĂ©guliĂšre et organisĂ©e, qui a menĂ© une guerre dâusure contre lâarmĂ©e française. Tout au long de la pĂ©riode, il y avait un lien chaleureux avec la communautĂ© juive, perpĂ©tuant ainsi la tradition de son pĂšre, un cheikh musulman soufi, descendant du prophĂšte Mahomet, qui avait une relation chaleureuse avec la communautĂ© et en particulier avec la famille Abu, issue de familles algĂ©riennes aisĂ©es qui ont immigrĂ© en IsraĂ«l.
DĂ©jĂ au dĂ©but du soulĂšvement, âAbd al-Qader dĂ©posa tous les trĂ©sors de sa famille â or et bijoux â entre les mains dâune famille juive. Des annĂ©es plus tard, lorsquâil a demandĂ© le retour du trĂ©sor, il lâa reçu en entier, sâassurant de parler Ă ses fils et petits-fils de «lâextraordinaire dĂ©cence des Juifs».
En 1843, la domination islamique en AlgĂ©rie sâest effondrĂ©e et la France a pris le contrĂŽle du pays. Abd al-Qader a poursuivi la guĂ©rilla contre les Français pendant encore cinq ans, jusquâĂ ce quâil se rende et soit exilĂ© avec sa famille en France, oĂč il a Ă©tĂ© emprisonnĂ©. Le jour de son dĂ©part dâAlgĂ©rie est devenu un jour de deuil national, auquel a Ă©tĂ© ajoutĂ© le surnom « Al-Jazeera » (« AlgĂ©rien »), et il a Ă©tĂ© plus tard considĂ©rĂ© comme le pĂšre du nationalisme algĂ©rien, le roi sans couronne. Son drapeau blanc-vert est devenu le drapeau de lâAlgĂ©rie lorsquâelle a finalement obtenu son indĂ©pendance de la France, aprĂšs plus de 100 ans.
Cinq ans aprĂšs son emprisonnement, âAbd al-Qader a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© de prison par le prĂ©sident de la RĂ©publique française, NapolĂ©on III, en Ă©change dâun engagement Ă Ă©migrer avec ses partisans vers les territoires de lâEmpire ottoman et Ă ne jamais retourner en AlgĂ©rie. Il est parti pour Damas avec 3500 de ses partisans et a Ă©tĂ© reçu avec le respect royal par le gouvernement ottoman, qui a Ă©galement dirigĂ© lâAlgĂ©rie dans le passĂ© et ses dirigeants ont vu al-Jazeera comme un hĂ©ros.
Les Ottomans lâont comblĂ© dâhonneur et dâargent et lui ont donnĂ©, ainsi quâĂ ses partisans, dâĂ©normes Ă©tendues de terre dans le sud de Horen (maintenant le sud du plateau du Golan) et en Eretz IsraĂ«l â du sud de la mer de GalilĂ©e jusquâĂ prĂšs du mont Thabor et dans la rĂ©gion de Shefarâam. On estime que la famille al-Qadir couvrait 100 kilomĂštres carrĂ©s. Abd al-Qader a mĂȘme Ă©tĂ© nommĂ© arbitre officiel dans les diffĂ©rends entre des groupes ethniques et divers Ă©lĂ©ments en Syrie, une position qui lui a apportĂ©, ainsi quâĂ sa famille, de lâargent supplĂ©mentaire.
Dans les vastes Ă©tendues de terre quâil a reçues, âAbd al-Qader a installĂ© une grande ferme agricole prĂšs de la riviĂšre al-Rukad (Nahal Raked), Ă la frontiĂšre orientale du Golan. Il a attribuĂ© des terres Ă ses fans et a Ă©tabli plusieurs villages agricoles pour eux. Sa famille est rapidement devenue une riche famille fĂ©odale, liĂ©e Ă la fois au monde arabe et Ă lâEurope.
La maison familiale Ă Damas Ă©tait un lieu de pĂšlerinage pour des personnalitĂ©s du monde arabe. Il a Ă©tĂ© visitĂ©, entre autres, Lawrence lâArabe, Faisal I (futur roi de Syrie et roi dâIrak), Mustafa Kemal AtatĂŒrk (fondateur de la RĂ©publique de Turquie et son premier prĂ©sident) et bien dâautres. Des rĂ©unions de reprĂ©sentants du gouvernement ont eu lieu dans cette maison et le sort a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©.
Les AlgĂ©riens ont Ă©tabli pas moins de 12 colonies agricoles en GalilĂ©e et dans la vallĂ©e du Jourdain. Lâune dâelles Ă©tait la ville de Samach dans la partie sud de la mer de GalilĂ©e (plus tard Tzemach), la premiĂšre des cinq colonies Ă©tablies en Basse GalilĂ©e. Avant lâarrivĂ©e des AlgĂ©riens, il y avait une trentaine de huttes de terre, oĂč les pĂȘcheurs vivaient de leurs familles ; à son apogĂ©e, Samach est devenue une ville dâenviron 2 000 habitants.
Dans le mĂȘme temps, âAbd al-Qader a renouvelĂ© ses liens avec la famille juive Abu. Chaque annĂ©e, le mĂȘme jour, il descendait de Damas jusquâau pont Banot Yaakov, pour rencontrer les membres de la famille Abu. En 1883, al-Jaziri est dĂ©cĂ©dĂ©, laissant derriĂšre lui trois fils et six filles et une grande fortune.
Le petit-fils dâAl-Jazeera est nĂ© le 13 octobre 1914 Ă Damas. Ses parents, Emir Said âAbd al-Qader et Hosnia, une femme dâorigine albanaise, ont choisi le rabbin de la communautĂ© juive pour effectuer la cĂ©rĂ©monie de circoncision. Leur fils aĂźnĂ© porte le nom de son arriĂšre-grand-pĂšre : âAbd al-Qader. Le titre «Razek» («Le dĂ©fenseur», en arabe) a Ă©tĂ© ajoutĂ© Ă son nom.
DĂ©jĂ dans sa jeunesse, il a vu des Ă©tincelles de la personnalitĂ© occupante de son grand-pĂšre, puis il a Ă©galement commencĂ© Ă affronter son pĂšre, qui Ă©tait impersonnel, avide et cruel. Selon Yohanan Sharet, 56 ans, plus tard le meilleur ami de Razek qui le connaissait quand il vivait Ă Moshava Migdal, « il a dit que son pĂšre abusait de ses huit enfants et que Razek, lâaĂźnĂ©, sâest retrouvĂ© Ă protĂ©ger ses frĂšres et sĆurs de sa colĂšre. Ă une occasion, le pĂšre a battu lâun des frĂšres. « Il saignait, et Razek a pris un pistolet et a tirĂ© en lâair pour lâavertir. Il y a eu plusieurs fois oĂč ils sont venus Ă©changer des coups. »
Comme il sied à une famille aristocratique, Razak a été envoyé étudier dans de prestigieuses écoles de Beyrouth. Pendant les vacances, la famille venait en Eretz Israël pendant plusieurs semaines. Pendant son séjour à la campagne, son pÚre a combiné des vacances avec des entreprises qui touchaient les terres familiales.
La famille de Razek vivait en IsraĂ«l dans plusieurs endroits â y compris Kiryat Shmuel prĂšs de TibĂ©riade, ainsi que Shefarâam et le mont Carmel. Il a dit Ă Yohanan Sharet que, enfant, il voyageait avec la famille de leur maison dâĂ©tĂ© Ă Moshava Kinneret Ă HaĂŻfa, puis sâĂ©tait rendu Ă Tel Aviv et sây Ă©tait rendu. « Ses parents ont dit que la Terre dâIsraĂ«l Ă©tait beaucoup plus intĂ©ressante que Damas et ont saisi chaque occasion pour y rester. »
Au dĂ©but des annĂ©es 1930, le pĂšre de Razek a Ă©tĂ© tuĂ© lors dâune bagarre. Le jeune Razek sâest mis Ă la place de son pĂšre, est devenu le chef de famille et a commencĂ© Ă gĂ©rer la vaste propriĂ©tĂ© quâil possĂ©dait. En mĂȘme temps, il a montrĂ© un grand intĂ©rĂȘt pour ce qui se passait dans le monde, en particulier dans les domaines liĂ©s Ă la politique, Ă la philosophie et aux visions du monde tels que le communisme et le marxisme. «JâĂ©tais marxiste depuis lâĂąge de 12 ans», a dĂ©clarĂ© Razek dans une interview en France dans les annĂ©es 1960.
Autour de Razek se trouvait un groupe dâenviron 60 assistants, qui dirigeait son entreprise dans le coin sud pour lui. Ils surveillaient les terres et collectaient lâargent des villageois. Il a lui-mĂȘme beaucoup voyagĂ© de Damas aux hauteurs du Golan pour superviser ses travailleurs et a visitĂ© les territoires que la famille dĂ©tenait dans le pays.
Il a nouĂ© des relations chaleureuses avec les membres des kibboutzim fondĂ©s dans la rĂ©gion Ă cette Ă©poque, comme Afikim (1932) et Ein Gev (1937). «CâĂ©tait un socialiste-marxiste dans lâĂąme», dit Muki Tzur (82 ans) Maayan Gev, «et en tant que tel, il voyait le kibboutz comme lâincarnation du socialisme». En 1934, il a demandĂ© au secrĂ©tariat du kibboutz Afikim dâĂȘtre acceptĂ© comme membre dâun kibboutz, mais a Ă©tĂ© rejetĂ©, car il Ă©tait musulman.
Plus il tombait amoureux de lâidĂ©e du kibboutz, plus Razek Ă©tait exposĂ© aux principes du sionisme. Il commença bientĂŽt Ă sâintĂ©resser Ă lâhistoire du peuple juif et Ă lire tous les livres quâil pouvait obtenir sur ces sujets. Selon lui, il a trouvĂ© dans le sionisme la logique, la justice, la sagesse, la qualitĂ© idĂ©ologique et une vision optimiste de lâavenir, et a conclu que ce nâĂ©tait pas seulement lâaccomplissement de la vision socialiste, Ă travers les kibboutzim, mais aussi lâexemple le plus tangible dâune rĂ©volution dans la vie des gens. Le sien, le rĂ©volutionnaire qui a rĂ©ussi Ă faire des tribus un peuple.
Dans les annĂ©es 1930, Razek a vendu une partie des terres de la famille Ă PIKA, la sociĂ©tĂ© juive de colonisation dâEretz IsraĂ«l, fondĂ©e par le baron Edmund de Rothschild.
De plus, Razek a pris des contacts avec Yosef Nachmani, qui Ă©tait lâagent foncier du PIKA et de la JNF, et sur la mission de Nachmani, a persuadĂ© des connaissances et des familles arabes de vendre des terres aux Juifs.
 Plus tard, Mordechai Oren, lâun des dirigeants de Mapam, a dit Ă son ami : «Quand jâai vendu la terre aux Juifs, je lâai fait par vision. Je savais quâun jour les Juifs gagneraient lâĂtat et que les terres leur appartiendraient. « Il ne fait aucun doute que la carte des colonies juives en GalilĂ©e et dans la vallĂ©e du Jourdain aurait Ă©tĂ© complĂštement diffĂ©rente sans lâimplication active de Razek âAbd al-Qader.
En juin 1941, lorsque les forces françaises libres rejoignirent les AlliĂ©s dans leur offensive contre lâarmĂ©e de Vichy en Syrie, Razek les rejoignit immĂ©diatement. Il sâest battu contre les forces de Vichy et, aprĂšs la conquĂȘte de la Syrie, a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© de son service. Pour son service, il a reçu le prix français « Lauren Cross ».
En 1943, Nakdimon Altshuler a Ă©tĂ© nommĂ© reprĂ©sentant du PIKA et de la JNF en Syrie. Les forces françaises libres, prenant le contrĂŽle de la Syrie, ont menĂ© une opĂ©ration dâenregistrement foncier (« Cadastre »). à Horen, on a estimĂ© que plus de 100 000 dunams appartenaient Ă des Juifs, bien que la zone soit vide de colons juifs : toutes les colonies juives Ă©tablies dans la rĂ©gion ont Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©es. AprĂšs lâabandon des Juifs, les terres sont restĂ©es vides et Rothschild les a rachetĂ©es et les a remises Ă PIKA.
Altshuler nâa pas aimĂ© lâarrivĂ©e de Horen aux yeux des Arabes locaux, qui ont refusĂ© de coopĂ©rer avec lui. Il sâest tournĂ© vers Teddy Kollek, le Mukhtar du kibboutz Ein Gev, qui a dĂ©veloppĂ© une relation chaleureuse avec les Arabes de Horen et le gouverneur syrien. Kollek a demandĂ© Ă Razek dâexercer ses bonnes relations Ă Damas et Ă Paris.
« Razek Ă©tait un bon ami Ă moi », a dĂ©clarĂ© Kollek plus tard. « Il a aidĂ© Ă adapter Nakdimon dans le Golan, puis je les ai rencontrĂ©s, et ils ont travaillĂ© ensemble. Lorsque les concours de rĂ©ussite de la mer de GalilĂ©e ont commencĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1940, jâai invitĂ© Razek Ă participer. Il a Ă©tĂ© le premier Arabe Ă participer au succĂšs compĂ©titif de la mer de GalilĂ©e. »
Afin dâĂ©tablir la propriĂ©tĂ© juive de la terre Ă Horen, Altshuler doit se familiariser avec les forces opĂ©rant dans le domaine des terres dans la rĂ©gion. Razek partagea avec lui sa connaissance approfondie des terres de Horen et, selon les tĂ©moignages ultĂ©rieurs de ses amis dâEin Gev, il fut Ă©galement recrutĂ© par Altshuler dans le dĂ©partement syrien de Palmach, qui devint en 1943 le « dĂ©partement arabe ».
LâactivitĂ© dâAltshuler dans la localisation et lâenregistrement des terres juives Ă Horen, avec lâaide de Razak, a Ă©tabli la propriĂ©tĂ© juive de ces terres, qui ont Ă©tĂ© officiellement enregistrĂ©es comme appartenant Ă PIKA.
DĂ©but avril 1946, les forces françaises en Syrie se sont effondrĂ©es et la Syrie a dĂ©clarĂ© son indĂ©pendance. Le lendemain, toutes les terres du pays ont Ă©tĂ© nationalisĂ©es. Les terres de la famille âAbd al-Qader dans le sud de Horan, ainsi que les terres qui appartenaient aux Juifs, Ă©taient inexistantes.
Razek a refusé de continuer à vivre sous le régime syrien. Il a trouvé refuge avec son bon ami Nicodemus Altshuler dans les rues et a vécu avec lui pendant plusieurs semaines. En juin 1946, à 32 ans, il quitte le pays pour la France. De là , il a continué à diriger son entreprise.
A Paris, il a Ă©tĂ© contactĂ© par des membres de LĂ©hi, qui ont agi depuis la France et la Belgique contre les Britanniques en Palestine, qui ont notamment envoyĂ© des lettres de menace et des enveloppes explosives au domicile des commandants de lâarmĂ©e britannique.
Au dĂ©but de la guerre dâindĂ©pendance, Razek a dĂ©cidĂ© de rejoindre les combattants juifs en Palestine. Il a discutĂ© de la question avec des membres de LĂ©hi Ă Paris et a promis dâapporter avec lui une « dot » â ses trois frĂšres, qui Ă©taient officiers de lâArmĂ©e française libre. AprĂšs plusieurs tentatives infructueuses, il a contactĂ© son ami Joshua (Josh) Falmon, directeur du DĂ©partement arabe de LâAgence juive, quâil connaissait bien grĂące Ă leur travail conjoint dans le dĂ©partement arabe du Palmach.
 Quelques mois plus tard, quand Falmon a rĂ©ussi Ă surmonter la bureaucratie et a obtenu la permission de Razek de rejoindre les combattants, IsraĂ«l a dĂ©clarĂ© son indĂ©pendance. Falmon a informĂ© Razek quâil nây avait pas besoin de volontaires supplĂ©mentaires pour lâarmĂ©e hĂ©braĂŻque.
En 1952, avec lâentrĂ©e dâIssar Harel au poste de chef du Mossad, il fait pression sur les membres de LĂ©hi pour quâils sâengagent dans le Mossad. Certains des amis de Razek en France se sont enrĂŽlĂ©s dans lâinstitution, et il les a aidĂ©s avec des renseignements, quâil a recueillis dans le cadre de ses nombreuses relations.
En 1953, Razek a utilisĂ© ses relations avec Nakdimon Altshuler et ses amis dans la colonie ouvriĂšre pour retourner en IsraĂ«l et faire du bĂ©nĂ©volat au kibboutz. Il est entrĂ© dans le pays avec son passeport français. Il a dit plus tard Ă son ami Yohanan Sharet quâil cherchait un endroit « avec une idĂ©ologie socialiste claire et sans compromis. Son plan Ă©tait dâĂ©tudier la question des kibboutz en profondeur, de sorte que lorsque lâAlgĂ©rie obtiendrait son indĂ©pendance â il enseignerait la thĂ©orie du kibboutz et Ă©tablirait des cadres dâimplantation identiques.
Il est arrivĂ© pour la premiĂšre fois au kibboutz Reim dans le NĂ©guev et nây est pas parvenu. Les membres du kibboutz lui ont recommandĂ© dâessayer le kibboutz Hatzor, oĂč il a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© avec succĂšs. Et quand ses amis sont venus lui rendre visite, il a dit : « Je suis heureux, je suis enfin devenu partie prenante de lâaccomplissement du rĂȘve socialiste-sioniste. Sans les kibboutzim, lâEtat dâIsraĂ«l nâaurait pas Ă©tĂ© Ă©tabli. »
MĂȘme alors, Razek a parlĂ© de la vision de la coopĂ©ration arabo-israĂ©lienne. «Lorsque lâEtat algĂ©rien sera Ă©tabli et que des kibboutz y seront Ă©tablis selon ma vision, IsraĂ«l et lâAlgĂ©rie entretiendront une Ă©troite amitié», a-t-il dĂ©clarĂ© Ă son ami Mizrahi Yosef Ginat.
Razek Ă©tait grand et trapu, avec des cheveux noirs et des yeux turquoise fascinants. «CâĂ©tait un soldat dans lâarmĂ©e du monde», dit Batin Amir-Margalit, la veuve de feu lâĂ©crivain et Ă©diteur Aharon Amir, qui et son mari Ă©taient des amis proches de Razek. Propre, comme un officier de lâarmĂ©e. «Â
Razek parlait couramment lâhĂ©breu, en plus de lâarabe et du français, et Ă©tait un excellent rhĂ©teur et penseur dans son Ăąme. Jamais fatiguĂ© des conversations idĂ©ologiques sur le socialisme et le marxisme, qui ont charmĂ© le pĂšlerinage. Ses maniĂšres europĂ©ennes lui ont rappelĂ© son enfance et son adolescence en Pologne. Et il Ă©tait aussi un romantique sans espoir. Pendant des mois, il dĂ©posait une fleur sur le pas de la porte de CĂ©lina tous les matins, jusquâĂ ce quâelle soit enfin conquise par ses charmes.
«CâĂ©taient mes voisins», raconte une membre du kibboutz Hatzor, 80 ans. «Ils vivaient dans une petite hutte et Ă©taient collĂ©s lâun Ă lâautre comme un bouton et une fleur. Lors des discussions de potins pour le kibboutz, nous nous sommes demandĂ© comment elle avait choisi Brazak, qui avait au moins dix ans de plus quâelle, de tous les prĂ©tendants qui lâaccompagnaient tout le temps.
Au dĂ©but de 1954, Razek estimait que la rĂ©volution musulmane en AlgĂ©rie Ă©tait imminente. LâarmĂ©e française a perdu au Vietnam, et elle a prĂ©dit que le prochain en ligne pour lâindĂ©pendance serait la Tunisie, le Maroc et lâAlgĂ©rie. « Il est temps de passer Ă lâaction », dit-il Ă son amant. En 1955, les deux emballĂšrent quelques affaires et partirent. Razek a rejetĂ© son offre de se rendre immĂ©diatement en Afrique du Nord et de rejoindre la rĂ©volution. Il a dâabord cherchĂ© Ă comprendre la ligne idĂ©ologique des dirigeants du Front de libĂ©ration nationale algĂ©rien (FLN), qui ont combattu lâarmĂ©e française.
Les deux se sont rendus chez Razek Ă Nice et ont suivi les Ă©vĂ©nements. AprĂšs avoir reçu la plateforme politique et politique du FLN, ils ont dĂ©cidĂ© de le rejoindre. Razek savait que les autoritĂ©s françaises en AlgĂ©rie ne lui permettraient pas dâentrer dans le pays, il a donc dĂ©cidĂ© de rejoindre le FLN en Europe.
En 1956, Yitzhak Shamir, membre du Mossad, dĂ©barqua Ă Paris et commença Ă essayer de recruter des agents parmi les LĂ©his quâil connaissait, qui vivaient en France Ă lâĂ©poque. Razek admirait Shamir et Shamir apprĂ©ciait grandement la contribution du musulman sioniste.
La mĂȘme annĂ©e, Razek et Celina ont dĂ©mĂ©nagĂ© en Allemagne de lâEst, oĂč ils ont créé un bureau dâintĂ©rĂȘt du FLN. Pourquoi les deux ont-ils choisi lâAllemagne de lâEst ? Des personnes bien informĂ©es affirment que lâobjectif a Ă©tĂ© fixĂ© pour Razek par ses agents du Mossad, qui cherchaient Ă Ă©tendre leurs opĂ©rations en Europe de lâEst. Celina, qui a perdu sa famille pendant lâHolocauste, a dĂ©testĂ© lâAllemagne de tout son cĆur mais a acceptĂ© de sây installer «au nom de la rĂ©volution».
Aux fins du dĂ©mĂ©nagement, Razek a Ă©tĂ© contraint, pour la premiĂšre (et derniĂšre) fois de sa vie, de se marier, afin que Celina obtienne la nationalitĂ© française et puisse obtenir un visa dâentrĂ©e en Allemagne de lâEst. Ceci malgrĂ© son opposition idĂ©ologique Ă lâinstitution du mariage. Selon Yochanan Sharet, il disait que «se marier est bourgeois» et que «les enfants ne devraient pas ĂȘtre nĂ©s, parce quâil y a dĂ©jĂ trop de monde dans le monde».
ArrivĂ©s Ă Berlin-Est, Razek et Celina ont commencĂ© la propagande sur la guerre dâAlgĂ©rie, se dirigeant vers la ligne nationaliste du FLN underground. La maĂźtrise des langues de Celina a Ă©tĂ© utile et elle a traduit les confĂ©rences de Razek du français vers lâallemand.
En 1958, Razek quitte Berlin et se rend en Tunisie pour rejoindre les combattants du FLN. La Tunisie Ă©tait dĂ©jĂ un Ătat indĂ©pendant Ă lâĂ©poque et a aidĂ© la clandestinitĂ© algĂ©rienne. Des membres du mĂ©tro ont quittĂ© la Tunisie pour une action armĂ©e contre lâarmĂ©e française en AlgĂ©rie. Razek, alors ĂągĂ© de 44 ans, nâa pas Ă©tĂ© enrĂŽlĂ© dans les combats, mais a reçu le titre de «gĂ©nĂ©ral de brigade» (idĂ©ologue) de la brigade, qui a fait la leçon aux soldats et renforcĂ© leur foi dans la justice de leur chemin.
Celina a continuĂ© Ă gĂ©rer les affaires du FLN Ă Berlin. Fin 1958, elle rejoint Razek. Puis, pendant plusieurs annĂ©es, elle a errĂ© entre la Tunisie, lâAllemagne et la France. Il nâest pas inconcevable quâils aient Ă©galement travaillĂ© Ă partir de ces endroits pour le Mossad.
En 1962, le premier livre de Razek, Lâillusion de lâunitĂ© arabe et panarabe, a Ă©tĂ© publiĂ©. Ce fut lâune des rares fois oĂč une haute personnalitĂ© musulmane attaqua frĂ©nĂ©tiquement les rĂ©gimes arabes et les prĂ©senta comme corrompus, dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s et myopes. De plus, Razek a prĂ©sentĂ© IsraĂ«l sous un jour positif, a abondamment Ă©crit sur les nombreuses possibilitĂ©s inhĂ©rentes Ă la rĂ©conciliation entre le monde arabe et IsraĂ«l, et a accusĂ© les dirigeants arabes dâexploiter le conflit israĂ©lo-arabe pour dissimuler leurs Ă©checs.
Comme prĂ©vu, le livre a fait grand bruit dans le monde arabe. Razek âAbd al-Qader, la chair et le sang de la nation arabe, est devenu lâennemi officiel du peuple, selon la dĂ©finition de la Ligue arabe. En Egypte, une « fatwa » a Ă©tĂ© Ă©mise (une dĂ©cision musulmane) qui interdisait Ă tout musulman de lire le livre, et donnait Ă lâavance le titre de « rassul » (messager) Ă quiconque voudrait Ă©liminer Razek. Lors de nombreuses confĂ©rences dans le monde arabe, les croyants ont jurĂ© de provoquer lâĂ©limination de «lâhĂ©rĂ©tique».
Razek passera les prochaines dĂ©cennies en cachette et en secret, se dĂ©plaçant dâun endroit Ă lâautre, dâun pays Ă lâautre. MĂȘme plusieurs annĂ©es aprĂšs la publication de la fatwa, il craindra toujours pour sa vie. Ce nâest quâĂ la fin de sa vie, en IsraĂ«l, que sa sĂ©curitĂ© lui reviendra.
En mars 1962, lâAlgĂ©rie accĂšde Ă lâindĂ©pendance. Le Front national de libĂ©ration de lâAlgĂ©rie, le FLN, a pris le pouvoir et son chef, Ahmad bin Bela, a Ă©tĂ© Ă©lu son premier prĂ©sident. Razek et Celina, qui Ă©taient en France Ă lâĂ©poque, se sont prĂ©cipitĂ©s en AlgĂ©rie pour assister aux cĂ©lĂ©brations de la fĂȘte de lâindĂ©pendance. Ils ont immĂ©diatement obtenu la citoyennetĂ© et ont Ă©tĂ© reçus avec le respect des rois partout oĂč ils allaient, comme il sied au petit-fils du premier libĂ©rateur national algĂ©rien au XIXe siĂšcle, Abd al-Qader al-Jaziri.
Peu de temps aprĂšs, le nouveau prĂ©sident a commencĂ© Ă travailler pour restaurer lâordre public, Ă diriger lâarmĂ©e et Ă mener une sĂ©rie de rĂ©formes contraires aux vues de certains membres du parti. « Ce nâest pas Ă quoi devrait ressembler lâAlgĂ©rie indĂ©pendante », a dĂ©clarĂ© Razek. « La rĂ©volution nâest pas finie, elle ne fait probablement que commencer. »
Il est retournĂ© en France avec Celina, et ensemble ils ont commencĂ© Ă organiser la prochaine rĂ©volte â cette fois, contre leur ancien chef, le prĂ©sident Ben Bella. Au bout de quelques mois, ils se sont de nouveau rendus en AlgĂ©rie et, en quelques mois, nous avons organisĂ© un groupe dâenviron 2 000 rebelles, la plupart dâanciens membres du FLN. Le 1er octobre 1963, ses hommes dĂ©clarent une rĂ©volte au pouvoir, mais le lendemain, ils sont attaquĂ©s par lâarmĂ©e algĂ©rienne et la rĂ©volte est Ă©liminĂ©e. Razek et Celina ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et jetĂ©s en prison.
LâidentitĂ© israĂ©lienne de Celina a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, et Razek a Ă©tĂ© dĂ©noncĂ© dans le monde arabe comme un « sioniste ». La Ligue arabe a publiĂ© une dĂ©claration contre lui, dĂ©clarant que « la vĂ©ritĂ© est sortie, maintenant la raison de son amour pour les sionistes est claire, et il est clair que tout ce quâil a Ă©crit dans son livre est un mensonge ». Des affiches portant sa photo ont Ă©tĂ© collĂ©es dans toute lâAlgĂ©rie, avec les mots «TraĂźtre ! Agent du sionisme et de lâimpĂ©rialisme, lâennemi n° 1 du peuple arabe».
Diverses organisations françaises ont commencĂ© Ă faire pression sur lâAlgĂ©rie pour quâelle libĂšre les deux. Yitzhak Shamir Ă©tait un partenaire secret dans lâutilisation de la pression. Celina a Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e au bout de quelques mois et Razek est restĂ© en prison pendant un an et un mois. Il a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© en dĂ©cembre 1964, seulement aprĂšs avoir signĂ© un engagement de ne plus retourner dans le pays. De prison, il a Ă©tĂ© conduit directement Ă lâaĂ©roport et sa nationalitĂ© algĂ©rienne lui a Ă©tĂ© rĂ©voquĂ©e lors dâune cĂ©rĂ©monie humiliante. Certains de ses amis FLN sont venus Ă lâaĂ©roport, lui ont crachĂ© dessus, lâont insultĂ© et ont jurĂ© que «mĂȘme si cela prend des gĂ©nĂ©rations et des gĂ©nĂ©rations, nous prendrons soin de vous un jour».
Ă son retour en France, Razek a achetĂ© une ferme isolĂ©e Ă environ trois heures de Paris. Chacune des chambres de la ferme portait le nom dâune zone diffĂ©rente en IsraĂ«l, oĂč il vivait avec Celina et plusieurs amis de lâĂšre FLN qui, comme lui, prĂ©conisaient la destitution du prĂ©sident algĂ©rien. Chaque semaine, des invitĂ©s, des penseurs communistes et dâautres venaient Ă la ferme.
Le regrettĂ© Barami Lugassi dâEin Gev, qui Ă©tait son ami proche et lui a rendu visite Ă la ferme, a dĂ©clarĂ© que «lâatmosphĂšre y Ă©tait militaire. Les gens portaient des uniformes kaki, se promenaient avec des armes, gardaient, menaient une vie spartiate et avaient des conversations idĂ©ologiques dans la nuit. «Â
Peu de temps aprĂšs lâinstallation du couple sur la ferme, Celina a exprimĂ© sa frustration Ă Razek. «Elle mâa dit quâelle en avait assez des rĂ©volutions», a-t-il dĂ©clarĂ© dans des interviews quâil a accordĂ©es aux mĂ©dias français. Un matin, elle a disparu, et depuis lors, ses traces sont inconnues. Quelques mois plus tard, une nouvelle femme entre dans la vie de lâinfatigable rĂ©volutionnaire : Jozet Dodisco, dentiste juive, divorcĂ©e avec un enfant et de 20 ans plus jeune que lui. Le feu de la rĂ©volution lâa Ă©galement brĂ»lĂ©e et elle sâest assurĂ©e de porter des vĂȘtements kaki, Ă©galement dans la clinique dentaire oĂč elle travaillait dans leur appartement Ă Paris.
Razek a commencĂ© Ă se sentir plus confiant. La grande peur de lâassassinat dans sa vie sâest dissipĂ©e, suite au systĂšme de sĂ©curitĂ© quâil sâĂ©tait construit Ă la ferme, et le nouveau partenariat lui a permis de reprendre lâĂ©criture de son deuxiĂšme livre. Dans ce livre, publiĂ© au dĂ©but de 1966 et intitulĂ© «Le conflit judĂ©o-arabe : Arabes et juifs face Ă lâavenir», Razek renonça Ă attaquer les rĂ©gimes arabes et se concentra sur lâanalyse des sources du conflit entre les parties. «Les peuples arabes ne sont pas hostiles Ă IsraĂ«l», a-t-il Ă©crit, «le problĂšme vient des dirigeants». Il a dĂ©taillĂ© une thĂ©orie tortueuse quâil avait dĂ©veloppĂ©e concernant les possibilitĂ©s de restauration des relations entre juifs et arabes, Ă travers une reconnaissance partagĂ©e des thĂ©ories idĂ©ologiques.
Son deuxiĂšme livre nâa pas suscitĂ© autant dâagitation que le premier, mais lui a valu de nombreux fans, notamment en IsraĂ«l. DĂ©but juin 1966, il arrive en IsraĂ«l pour une sĂ©rie de confĂ©rences commandĂ©es par Mapam, avec Jozette,qui laisse son fils avec son ex-mari.
Razek a rencontré ses bons amis au kibboutz Ein Gev et a été chaleureusement accueilli. Chaque matin, lors de la préparation de sa prochaine conférence, Jozet prodiguait des soins dentaires aux membres du kibboutz.
CâĂ©tait un bon orateur, qui savait captiver ses auditeurs. Familier avec les enseignements des rĂ©volutionnaires, de Mao Tse Tong Ă Marx, des Anges Ă Che Guevara. Il avait des capacitĂ©s dâanalyse impressionnantes des Ă©vĂ©nements et des processus et la capacitĂ© de prĂ©dire les dĂ©veloppements politiques et sociaux bien avant quâils ne se produisent.
Il avait lâhabitude de diviser sa confĂ©rence en deux parties : dans la premiĂšre partie, il parlait de «tous les droits du peuple juif sur la terre dâIsraĂ«l», soulignant que «le lien historique entre le peuple dâIsraĂ«l et la terre dâIsraĂ«l nâa pas besoin de preuve, car il existe depuis des milliers dâannĂ©es». Tant que câest le cas, vous ne pourrez pas affaiblir le lien entre les gens et leur dĂ©pendance. «Â
Dans la deuxiĂšme partie, Razek a parlĂ© du monde arabe et des Ă©normes possibilitĂ©s inhĂ©rentes Ă la paix entre IsraĂ«l et ses voisins. Il pimentera ses propos avec des anecdotes intĂ©ressantes et amusantes tirĂ©es de son expĂ©rience de musulman qui va et vient entre les pays arabes et occidentaux. Il a rapidement gagnĂ© de nombreux fans Ă travers le pays et a Ă©tĂ© surnommĂ© «lâami algĂ©rien».
MalgrĂ© cela, il a maintenu sa modestie. Ses connaissances disent quâil ne sâest jamais vantĂ© ou quâil Ă©tait arrogant, et les deux seules choses quâil se permettait de sortir de sa silhouette sobre Ă©taient de boire du vin et son grand amour pour les femmes. «Il avait du style et il parlait Ă hauteur des yeux», dit Bettin Amir-Margalit. Rami Lugassi a dĂ©clarĂ© que « câĂ©tait amusant de lui parler, ou simplement dâĂȘtre Ă ses cĂŽtĂ©s. A la fin de chaque session, aprĂšs les heures, je commençais dĂ©jĂ Ă attendre la prochaine session. »
Razek a Ă©tĂ© invitĂ© Ă des dizaines de confĂ©rences et dâĂ©vĂ©nements dans tout le pays. Il se sentait aimĂ©, voulu et Ă lâabri de tout mal. Ses confĂ©rences ont Ă©tĂ© largement couvertes dans la presse hĂ©braĂŻque et Ă©trangĂšre, il a participĂ© Ă des programmes radiophoniques et a Ă©tĂ© invitĂ© en tant quâinvitĂ© dâhonneur Ă divers Ă©vĂ©nements, tels que la ConfĂ©rence des immigrants algĂ©riens, un symposium sur lâavenir du mouvement ouvrier, la ConfĂ©rence des cellules arabes Histadrout, etcâŠ
Au cours de cette pĂ©riode, une connexion sâest Ă©tablie entre lui et Aharon Amir, une connexion qui sâest dĂ©veloppĂ©e rapidement. Amir a invitĂ© Razek Ă Ă©crire pour « Keshet », un quart quâil a Ă©ditĂ©, et lâa prĂ©sentĂ© au groupe « cananĂ©en », qui Ă©tait lâun de ses fondateurs. Les vues idĂ©ologiques des «CananĂ©ens» correspondaient pleinement aux vues de Razek : la Grande Terre dâIsraĂ«l, la sĂ©paration de la religion et de lâĂtat, crĂ©ant une rĂ©volution qui apporterait une nouvelle culture, et plus encore.
Razek proposa Ă Jozette de rester dans lâĆil arriĂšre, et elle accepta. Cependant, une lettre de son ex-mari, dans laquelle il Ă©crivait que son fils avait besoin dâelle, la fit rentrer en France en septembre 1966. Trois mois plus tard, Razek la rejoignit.
Il est retournĂ© seul en IsraĂ«l en 1968, pendant quatre mois, pendant lesquels il a continuĂ© Ă donner des confĂ©rences. Dans ses remarques, il a rejetĂ© le concept de «territoires pour la paix», qui Ă©tait rĂ©pandu Ă la suite de la guerre des Six jours, et a affirmĂ© que «câest une idĂ©e dĂ©faitiste». Il a mĂȘme invitĂ© des guides touristiques dans les hauteurs du Golan (maintenant gouvernĂ© par IsraĂ«l) qui ne connaissaient pas la rĂ©gion.
En 1975, il retourne Ă nouveau en IsraĂ«l, en tant quâinvitĂ© dâhonneur au CongrĂšs mondial des MaghrĂ©bins. Lors de la soirĂ©e dâouverture, qui sâest tenue dans les bĂątiments du pays avec la participation de milliers de personnes, il a dĂ©clarĂ© dans son discours : « MĂȘme si les dirigeants de tous les pays arabes viennent demain et acceptent la paix avec IsraĂ«l en Ă©change de concessions de sa part â IsraĂ«l ne doit pas abandonner « Du Nil Ă lâEuphrate â il a dĂ©jĂ fait toutes les concessions possibles. » Les milliers de personnes prĂ©sentes dans la salle lâont longtemps applaudi.
Au cours des annĂ©es 1970 et 1980, Josette et Razek ont ââdĂ©mĂ©nagĂ© en France Ă plusieurs reprises. Une partie du temps, ils vivaient dans le modeste appartement de Josette Ă Paris, qui servait Ă©galement de clinique dentaire, et Ă dâautres moments, ils sâisolaient dans des endroits reculĂ©s, comme des cabanes forestiĂšres. Leur dernier lieu de rĂ©sidence Ă©tait dans une forĂȘt prĂšs de Nice. LĂ , un matin de novembre 89, Jozette meurt dâun accident vasculaire cĂ©rĂ©bral Ă lâĂąge de 55 ans.
Sa mort a frappĂ© Ă Razek. Il avait 75 ans Ă lâĂ©poque et ses amis disent que câĂ©tait la premiĂšre fois quâil avait lâair faible, confus et perdu. Jozette nâĂ©tait pas seulement une Ă©pouse mais aussi un partenaire Ă part entiĂšre dans son chemin idĂ©ologique. Vers la fin de 1990, solitaire et Ă©puisĂ©, il rangea certaines de ses affaires dans sa voiture Opel Ascona et partit de Nice Ă Marseille. LĂ , il est montĂ© Ă bord, avec son vĂ©hicule, du navire qui a naviguĂ© vers HaĂŻfa. De HaĂŻfa, il sâest rendu Ă Ein Gev et, tard dans la nuit, il a frappĂ© Ă la porte de Rami Lugassi.
Pourquoi est-il venu en IsraĂ«l, vers la fin de la huitiĂšme dĂ©cennie de sa vie ? Peut-ĂȘtre parce quâil sentait que ses jours allaient sâĂ©couler et quâil voulait les dĂ©placer vers son endroit prĂ©fĂ©rĂ©, prĂšs de la mer de GalilĂ©e et devant les hauteurs du Golan. Peut-ĂȘtre parce quâil nâa plus de parents en France. Peut-ĂȘtre parce quâil craignait que sans Jozette, qui le soutenait depuis tant dâannĂ©es, il ne soit dĂ©passĂ© par ses poursuivants, qui juraient de lâĂ©liminer. Et peut-ĂȘtre quâil sâest appauvri, aprĂšs des dĂ©cennies au cours desquelles il a consacrĂ© sa vie et toutes les richesses quâil avait accumulĂ©es Ă la rĂ©volution.
Les vieux amis dâEin Gev Ă©taient heureux de voir Razek, mais le kibboutz Ă©tait dĂ©jĂ dirigĂ© par des jeunes et il sentait quâil nâĂ©tait plus voulu. Un de ses amis, Yossi Fogel, a contactĂ© la famille Gotschlak Ă Moshava Migdal sur les rives de la mer de GalilĂ©e â une famille de chrĂ©tiens qui aiment IsraĂ«l et qui se sont convertis au judaĂŻsme.
Vers avril 1991, Razek a Ă©tĂ© invitĂ© Ă vivre chez un mĂ©decin de la colonie de Migdal, qui avait immigrĂ© en IsraĂ«l depuis la France peu de temps auparavant. Elle lui a permis de mettre dans la cour de sa maison une roulotte quâil avait achetĂ©e, qui Ă©tait reliĂ©e au rĂ©seau dâĂ©lectricitĂ© et dâeau de sa maison. Il a couvert les murs de la caravane avec des photos de personnes quâil admirait: Yitzhak Shamir, Yigal Alon et Yitzhak Sadeh, ainsi que Che Guevara, Fidel Castro, Mao Tessa Tong, Engels et Marx. Et bien sĂ»r, des photos de son amante, Jozette.
Peu de temps aprĂšs lâarrivĂ©e de Razek en IsraĂ«l, une rĂ©union a Ă©tĂ© organisĂ©e entre lui et le Premier ministre Shamir dans son bureau Ă Tel Aviv. « Il y avait une grande excitation dans lâair », raconte Yochanan Sharet, qui a accompagnĂ© la rencontre. « Shamir, qui Ă©tait connu pour ĂȘtre sobre, a souri dâune oreille Ă lâautre tout au long de la conversation, qui sâest dĂ©roulĂ©e en français. Ils ont partagĂ© des souvenirs de leurs jours Ă Paris et ont parlĂ© de politique et de politique. AprĂšs environ une demi-heure, Razak a dit Ă Shamir quâil ne voulait plus perdre de temps, et la rĂ©union sâest terminĂ©e. »
AprĂšs la rĂ©union, Shamir a ordonnĂ© Ă Mordechai Tzipori, le directeur gĂ©nĂ©ral de lâInstitut national dâassurance Ă lâĂ©poque, de rencontrer Razek Ă son domicile et de vĂ©rifier personnellement comment un «ami des armes» pourrait ĂȘtre aidĂ©, comme Shamir lâa dĂ©fini.
MĂȘme aprĂšs avoir terminĂ© son mandat de Premier ministre, Shamir a travaillĂ© pour faire de Razak un citoyen israĂ©lien. En effet, au dĂ©but de 1994, Razek a Ă©tĂ© informĂ© quâil recevrait le statut de civil. Pendant de longs jours avant la date Ă laquelle il Ă©tait invitĂ© Ă la section du ministĂšre de lâIntĂ©rieur Ă TibĂ©riade, il se posait la question de savoir quel nom hĂ©breu il choisirait pour lui-mĂȘme. «Pour une raison quelconque, il pensait que selon la loi israĂ©lienne, il ne pouvait pas changer son prĂ©nom mais seulement son nom de famille», dit Yochanan Sharet. « Quand il est devenu clair pour lui quâil pouvait aussi changer de prĂ©nom, sa joie Ă©tait sans fin. Il mâa dit : je peux enfin couper ma queue arabe, qui me poursuit depuis toutes ces annĂ©es. »
Ce nâest quâen se rendant au ministĂšre de lâIntĂ©rieur Ă TibĂ©riade que Razak informa le serviteur du nom quâil sâĂ©tait choisi. « PrĂ©nom â Dov, parce quâil indique la force ; nom de famille â Golan, parce que câĂ©tait sa rĂ©gion prĂ©fĂ©rĂ©e du pays. »
Le 16 fĂ©vrier 1994, un nouveau citoyen du nom de Dov Golan a Ă©tĂ© enregistrĂ© en IsraĂ«l, numĂ©ro dâidentification 309656478. Nom du pĂšre, tel quâil figure sur le certificat : Said. Nom de la mĂšre : Hosnia. Date de naissance : 13 octobre 1914. « Ce fut le plus beau jour de ma vie », a dĂ©clarĂ© Razek / Golan Ă Sharett.
Peu de temps aprĂšs que Razek ait apportĂ© sa caravane Ă la tour, Jonathan Gotschalk lâa dĂ©placĂ© Ă cĂŽtĂ© de la maison de sa famille. «Nous avons dĂ©veloppĂ© une profonde amitié», dĂ©clare Gotschalk, 50 ans. «Il est devenu un membre de la famille avec nous. Bien que les diffĂ©rences de pensĂ©e entre nous soient profondes â il Ă©tait un communiste dans ses opinions, qui dĂ©finissait la religion comme      « lâopium pour les masses » et sâopposait au mariage et Ă lâaccouchement, et je suis un religieux national, Mais nous nous entendions Ă merveille. «Â
«Nous le rencontrions presque tous les soirs dans la caravane et parlions beaucoup. Il parlait couramment lâhĂ©breu et Ă©tait une personne trĂšs sociable et calme. Je ne lâai jamais vu en colĂšre. De temps en temps, il parlait de son dĂ©sir pour Jozette. Pendant la journĂ©e, il Ă©tait occupĂ© Ă jardiner et Ă organiser la caravane, Ă faire beaucoup de sport « Il lisait beaucoup et Ă©coutait de la musique. Il ne nous a jamais rien demandĂ©. »
Yad a disparu, craignant de payer la taxe fonciĂšre, lâeau, lâĂ©lectricitĂ© et les factures de tĂ©lĂ©phone de Razek. Il ne sâassocia pas beaucoup avec les habitants de la colonie, mais avec lâun dâeux, John Sharett, trouva beaucoup de points communs. Sharett, lui aussi, Ă©tait imprĂ©gnĂ© de ferveur idĂ©ologique et parlait français. Une amitiĂ© courageuse sâest dĂ©veloppĂ©e entre les deux.
La rumeur selon laquelle Razek Ă©tait dans le pays sâest rapidement rĂ©pandue parmi ses vieux amis, qui ont commencĂ© Ă venir lui rendre visite. Il les a tous reçus avec des yeux brillants. Dans les rĂ©unions, qui duraient parfois jusquâaux petites heures de la nuit, il parlait toujours de rĂ©volutions et de sionisme.
« Je venais lui rendre visite de temps en temps », a dĂ©clarĂ© feu Yossi Fogel, son ami Ein Gev. « Il nây a pas eu une seule fois oĂč il nâa pas sorti une bouteille de vin. Il a parlĂ© du marxisme et du socialisme dans le mĂȘme pathĂ©tique quâavant, et a analysĂ© en profondeur des mouvements qui avaient depuis longtemps perdu leur pouvoir. Il entrait en transe, se levait et parlait sur le ton dâune confĂ©rence, fermant parfois les yeux.
« Avec une chose, je ne pouvais mâempĂȘcher dâĂȘtre dâaccord avec lui â lâĂ©loge du mouvement sioniste. Il a toujours dit que le sionisme avait rĂ©volutionnĂ© une rĂ©gion de fĂ©odalisme arabe arriĂ©rĂ© et Ă©tabli un paradis en IsraĂ«l. Je le regarderais avec Ă©tonnement Ă chaque fois et me disais : Ce pieux sioniste ? «Â
De temps en temps, comme dans les pĂ©riodes prĂ©cĂ©dentes oĂč il vivait en IsraĂ«l, Razek faisait ses valises et partait â parfois dans sa voiture, et parfois dans les voitures de personnes qui venaient le chercher. Il nâa jamais dit oĂč il allait. La famille Gutschalk et ses amis proches nâont jamais tentĂ© de dĂ©chirer le voile de mystĂšre qui lâentourait. Ils en savaient peu sur son passĂ© sĂ©curitaire, Ă cause des longues conversations avec lui. Rami Logsi a dĂ©clarĂ© quâune fois, tard dans la nuit, Razek lui a dit : « Je travaille pour IsraĂ«l. »
Le jeudi 6 aoĂ»t 1998, des membres de la famille Gotschalk ont ââremarquĂ© que Razek ne leur rendait pas visite depuis plusieurs jours. Un des membres de la famille sâest rendu Ă sa caravane et a frappĂ© Ă la porte, mais il nây a pas eu de rĂ©ponse. AprĂšs avoir appelĂ© plusieurs fois son nom, il a essayĂ© dâouvrir la poignĂ©e de la porte, mais la porte Ă©tait verrouillĂ©e. Quelques heures plus tard, lâhomme est retournĂ© Ă la remorque et nâa pas reçu de rĂ©ponse.
Il entendit de lâeau courante dans la douche et pensa que Razek prenait une douche. Quand il est revenu plus tard dans la soirĂ©e, on entendait encore de lâeau courante, puis ses soupçons ont surgi. Il a appelĂ© plusieurs membres de la famille et, ensemble, ils ont enfoncĂ© la porte.
La remorque Ă©tait bien rangĂ©e, mais Razek nâavait aucune trace. Lorsquâils sont allĂ©s ouvrir la petite porte de la douche, ils ont remarquĂ© quâelle Ă©tait bloquĂ©e de lâintĂ©rieur. AprĂšs avoir enfoncĂ© la porte, ils ont Ă©tĂ© stupĂ©faits de le trouver allongĂ© sur le sol, sans vie. La police et la MDA ont Ă©tĂ© appelĂ©es, et un mĂ©decin a dĂ©terminĂ© son dĂ©cĂšs. Le certificat de dĂ©cĂšs indique, dans la section des causes du dĂ©cĂšs : un poignet cassĂ©.
AprĂšs avoir appris sa mort, Yochanan Sharet a informĂ© ses amis que Razek avait demandĂ© « de ne pas ĂȘtre enterrĂ© en tant que musulman dans un cimetiĂšre arabe, mais seulement dans un cimetiĂšre juif â au kibboutz Afikim, si possible ». Exactement 64 ans aprĂšs avoir demandĂ© au secrĂ©tariat du kibboutz dâĂȘtre acceptĂ© en tant que membre du kibboutz et rejetĂ© parce quâil Ă©tait musulman, Dov Golan a Ă©tĂ© inhumĂ© au cimetiĂšre Afikim.Â
Mizrahi Yossi Ginat lui a rendu hommage : «Pendant tant dâannĂ©es, mon cher ami Razek âAbd al-Qader, Dov Golan, vous vouliez ĂȘtre acceptĂ© ici en tant que membre dâun kibboutz.
Razek âAbd al-Qader, qui appartenait Ă Dov Golan, est mort sans enfant Ă lâĂąge de 83 ans. Lâhistoire de sa vie a Ă©tĂ© rapidement emportĂ©e. Il nâa jamais reçu le respect quâil mĂ©rite pour ses actions envers lâĂtat dâIsraĂ«l.
« Razek Ă©tait lâun des plus grands amis de lâEtat dâIsraĂ«l », dĂ©clare le Dr Yosef Sharvit du DĂ©partement dâhistoire israĂ©lienne et de la communautĂ© juive contemporaine de lâUniversitĂ© de Bar-Ilan. « La recherche devrait ĂȘtre consacrĂ©e Ă son travail spĂ©cial dans lâentreprise sioniste. » Il nâa jamais rien demandĂ© en Ă©change de ses services. Peur quâils disent quâil aide IsraĂ«l pour la cupiditĂ© de lâargent. Pour lui, cela faisait partie intĂ©grante de lâaccomplissement de sa mission sioniste.  »Â