‘LE BON SENS DU PEUPLE SERA TOUJOURS LA MEILLEURE ARMÉE’ (Thomas Jefferson) – Par Rony Akrich

L’embarras avec la jugeote c’est justement son Ă©tat si peu endĂ©mique. En fait, elle subit le faible engouement, si ce n’est l’ignorance frĂ©nĂ©tique, du commun des mortels. Les intĂ©ressĂ©s, eux-mĂȘmes, l’ont relĂ©guĂ©e aux oubliettes de l’Histoire, la voilĂ  devenue denrĂ©e rare, article introuvable et, disons-le, un genre trĂšs menacé !

Dites-moi, la jugeote ne voudrait-t-elle pas interpeller ces diffĂ©rents ‘partis’ politiques qui, par la voix de leurs tribuns, haranguent les foules aux seules fins d’une unitĂ© chimĂ©rique puisque tous reste le
, ou plutĂŽt, la
 ‘Partie’?

 

Prenons pour exemple l’ensemble des fractions religieuses en IsraĂ«l, chacun se dĂ©fend d’ĂȘtre le porte-parole de la Torah et pourtant, tous n’aspirent qu’à une seule vĂ©ritĂ©, la leur! Il serait fort dommageable, pour leur ego exacerbĂ©, d’accepter d’entendre, de comprendre l’autre et ce, afin de concevoir, au mieux, un front commun.

MalgrĂ© cette espĂ©rance, nous voilĂ  contraints d’assister aux Ă©changes belliqueux, effroyablement vicieux et prĂ©judiciables, de personnalitĂ©s toujours suspectes d’intĂ©ressements personnels Ă  mes yeux, qui s’évertuent Ă  nous convaincre que les vessies sont des lanternes!

 

La superficie, comme le genre de la calotte, le volume du couvre-chef et la longueur de la barbe n’y changent rien, nous sommes face Ă  un fait indĂ©niable: une perte notoire d’influence auprĂšs de l’électorat. Les altercations, au sein du parti ou Ă  l’encontre d’autrui, sont grassement Ă©talĂ©es sur la place publique et roulĂ©es dans la boue par les corbeaux maladifs. Nul ne prĂȘte vraiment garde aux consĂ©quences dĂ©sastreuses et affligeantes d’une telle conduite et d’un tel comportement qui brisent non seulement l’influence, mais profanent, Ă©galement, toute dĂ©fĂ©rence Ă  la Torah d’IsraĂ«l au sein du peuple. S’il en est ainsi, permettez-moi de transcrire, grĂące Ă  l’éminence du clavier, mon opinion concernant ce sujet.

 

La pensĂ©e mĂȘme d’une possible division demeure, en absolu, totalement Ă©loignĂ©e des principes de la CrĂ©ation. En aucun cas, ni Ă  aucun moment, la Vie ne suspend son vol vers la totalitĂ© et l’infini. Il s’agit d’une illusion de sĂ©paration, une idĂ©e erronĂ©e de la rĂ©alitĂ© dissociĂ©e de tout ce qui est, source expansive dont les Ă©chos blessent la profondeur cĂ©leste de l’ĂȘtre, dans son existence sociale comme Ă  l’échelle de ses engagements politiques.

L’idĂ©al du ‘tout’ est un absolu, il demeure probant mais reste vacant lĂ  oĂč l’unitĂ© de la Vie devient contraignante, lĂ  oĂč le rĂ©gime de la division rĂšgne en despote.

 

« Le point de vue de l’unitĂ© perçoit la vision totale des individus sĂ©parĂ©s les uns des autres comme n’étant qu’une erreur des sens et un manque d’illumination. Mais la rĂ©alitĂ© est en  vĂ©ritĂ© tout simplement une grande unitĂ©. Les nombreux ĂȘtres multicolores ne sont que des expressions particuliĂšres, des Ă©lĂ©ments diffĂ©rents, des couleurs et des teintes diffĂ©rentes, de cette unicitĂ© unique. » (Orot haKodesh. Rav Kook)

 

Ainsi sont les gouvernements politiques qui embrigadent les esprits dans une pensée unique, ne laissant aucune place au libre-arbitre.

Déclarons, haut et fort, notre identité morale à travers une réelle pratique, affirmons, au quotidien, les normes de notre éthique.

La nĂ©cessaire libertĂ© de l’homme doit pouvoir se manifester et rĂ©vĂ©ler ainsi l’image Divine comme reflet du visage humain. Son humanitĂ© ne peut s’inspirer uniquement de la raison sensible de l’ĂȘtre rĂ©flĂ©chi, elle est d’abord, et avant tout, le fruit des attributs du CrĂ©ateur lors de sa CrĂ©ation.

 

De toute Ă©vidence, les individus s’imaginent avoir carrĂ©ment conçu par eux-mĂȘmes les normes et valeurs morales au grĂ© des pages de leur Histoire. Mais ils oublient la vie, celle qui s’écoule depuis sa source et transporte les gĂšnes de l’innĂ© vertueux vers une existence probable si seulement le potentiel se voyait mis Ă  jour. Un mouvement turbulent oĂč l’homme, malgrĂ© tout son dĂ©terminisme peut, s’il le veut fonciĂšrement, s’engager, militer et rĂ©sister Ă  l’adversitĂ© du moment, ne jamais vouloir rester dans le doute et la crainte, faire le dos rond ou baisser la tĂȘte devant l’inconcevable. DĂ©cidons Ă  tout moment quel sera notre devenir pour, ainsi, affirmer ‘qui je suis’ et le vivre pleinement!

Nous Ă©laborons de nouveaux principes contraignants pour mieux contenir l’homme et la sociĂ©tĂ©, en proportion du reflet de notre image, de notre ĂȘtre vivant, individuel ou collectif.

 

Le ‘Moi’ exacerbĂ© n’a aucune chance de pouvoir apprĂ©hender le sens de la totalitĂ© et du ‘tout’ absolu de l’existence, trop d’orgueil l’enferme au sein de carcans perceptibles qui endiguent en vĂ©ritĂ© ce qui, dans l’ĂȘtre, n’a plus de limite.

 

L’harmonie infinie de la vie ne peut ĂȘtre circonscrite, par contre il est tout Ă  fait concevable de rĂ©duire son moi en gĂ©nĂ©rant une authenticitĂ© de l’idĂ©e du moi. L’ego façonne le clivage entre le bien et le mal pour dĂ©terminer qui il est mais, comme le cadre est irrĂ©el, il le rĂ©vise continuellement selon cette ‘idĂ©e’ de lui-mĂȘme oĂč rien d’autre ne peut ĂȘtre. Ce qui est assez intĂ©ressant Ă  observer, c’est qu’il ne perçoit guĂšre le mouvement inĂ©luctable du projet divin vers le mieux et le meilleur, essentiellement lorsqu’il est confrontĂ© Ă  autrui. En consĂ©quence, il peut volontiers penser que le ver est dĂ©jĂ  dans le fruit de l’homme car, en rĂ©alitĂ©, nos humains ont une fĂącheuse tendance Ă  s’apprĂ©cier, non point Ă  leur juste valeur, mais bien Ă  travers un modĂšle trĂšs diffĂšrent d’eux-mĂȘmes.

 

Libre arbitre quand tu nous tiens, le jeu en vaut-il la chandelle?

 

Tout Ă©volue vers le drame lorsque le ‘Moi’ hypertrophiĂ© pense ĂȘtre l’unique savant capable de comprendre les dualitĂ©s existentielles, l’unique savant Ă  possĂ©der suffisamment de sagacitĂ© et le seul, ajouterais-je, Ă  considĂ©rer tout autre que lui comme dĂ©ment. Il existe lĂ , prĂ©cisĂ©ment, une espĂšce de conviction sournoise et dangereuse, source violente, un ‘casus belli’ irrĂ©versible menant au conflit, Ă  la guerre. Une ‘foi’ servant d’exutoire au narcissisme irrĂ©flĂ©chi.

 

Ici, au pays oĂč devraient couler le lait et le miel, notre colĂšre, celle des uns contre les autres, peut se justifier au vu et au su des erreurs politiques et religieuses du passĂ©. Le bon sens voudrait nous voir agir. Il voudrait nous entendre dĂ©clarer que nous sommes bien au-dessus de ces querelles de boutiquiers. Et, surtout, il voudrait nous voir capables de maĂźtriser notre courroux intĂ©rieur. Il est clair pour nous tous, en IsraĂ«l, que vouloir seulement en dĂ©coudre avec le monde religieux n’aboutira jamais Ă  rĂ©soudre tous les antagonismes. Rien de vraiment tangible pour notre nouvelle sociĂ©tĂ© hĂ©braĂŻque dans son ensemble, si tout un chacun continue de croire, ostensiblement, Ă  sa seule rhĂ©torique politique et son intime dialectique pour un credo religieux dĂ©passĂ© et dĂ©phasĂ©.

Trop souvent le dogme se trouve aliĂ©nĂ© et fait preuve d’une stupiditĂ© surabondante.

« Quand toute une nation ne sait plus s’occuper que de niaiseries, quelle attention peut-elle donner aux grandes choses ? (J. J. Rousseau.)

L’absurditĂ© des peuples, des puissants, nous confronte violemment aux rĂ©alitĂ©s dramatiques d’un monde en pleine effervescence mais surtout d’un occident aveuglĂ© par ses propres croyances erronĂ©es. Une foi toute religieuse en sa propre puissance, sa raison et sa morale l’entraine inexorablement vers les mĂ©andres d’une Histoire qu’il ne comprend plus, qu’il n’entend plus. Quelques exceptions au sein de ces sociĂ©tĂ©s, aliĂ©nĂ©es par les marchĂ©s, le festif et l’ignorance, sont hypocritement vilipendĂ©es au quotidien par des medias acquis aux principes de l’abrutissement des masses comme du nivellement par le plus bas et le plus misĂ©rable de la personne humaine.

 

Quelles en sont les conséquences sur le plan national comme international?

Le bon sens et l’Histoire, passĂ©e et rĂ©cente, nous ont appris que les dictateurs mĂ©galomanes ne peuvent jamais vraiment ĂȘtre apaisĂ©s ou conciliants. TĂŽt ou tard, ils doivent ĂȘtre confrontĂ©s et provoquĂ©s par la nĂ©cessaire libertĂ© de pensĂ©e et de mouvement des hommes.

Le bon sens nous enseigne qu’il y a du bien et du mal, des agresseurs et des victimes dans le monde.

Le bon sens exclut toute notion d’égalitĂ© morale comme une pensĂ©e oĂč tous les individus pourraient ĂȘtre d’accord sur tout et n’importe quoi.

Le bon sens pousse les nations et les créatures à se défendre contre les violences injustifiées et la terreur aveugle.

Le bon sens nous interdit de renoncer à la propriété physique actuelle au nom de futurs accords fugitifs de demain.

 

De sinistre mĂ©moire, nous nous souvenons des accords de Munich en 1938 et, plus tard, ceux d’Oslo en 1992. Les premiers provoquĂšrent la mort et le gĂ©nocide de dizaines de millions d’ĂȘtres humains sur la surface de notre terre. Les seconds, pour le seul minuscule Ă©tat d’IsraĂ«l, entraineront l’assassinat sauvage de plus de 1500 hommes, femmes et enfants. A la lumiĂšre de ces deux exemples probants il est aisĂ© de prouver et de signifier la finalitĂ© du manque de bon sens ou, si vous prĂ©fĂ©rez, de la dramatique connerie humaine. Churchill fit remarquer qu’à Munich, Chamberlain sacrifia l’honneur de l’Angleterre afin d’éviter la guerre, pour, en retour, obtenir le dĂ©shonneur et la guerre, ainsi en fut-il!

 

Le bon sens nous est si souvent Ă©tranger parce qu’il exige, gĂ©nĂ©ralement, une dĂ©cision douloureuse Ă  prendre, la nature humaine est trĂšs rĂ©fractaire Ă  ce genre d’engagement. Elle reste terrifiĂ©e face au devoir qui l’interpelle et prĂ©fĂšre s’en remettre aux vertus de la diplomatie.

En consĂ©quence, hier comme aujourd’hui, le bon sens est relĂ©guĂ© au vƓu pieu de la pensĂ©e inconsciente et les regrets, comme les condolĂ©ances, ne viendront qu’a posteriori, mais il sera toujours trop tard pour des millions de nos frĂšres.

 

Une parabole chinoise de Liu-Ji, datant du 14Úme siÚcle, illustre bien cette lecture négligée du pouvoir politique :

Dans l’État fĂ©odal de Chu, un vieillard survivait en gardant des singes Ă  son service. Les gens l’appelaient « Ju gong » (MaĂźtre singe).

Chaque matin, le vieil homme rassemblait les singes dans sa cour et donnait l’ordre Ă  l’aĂźnĂ© d’emmener les autres, dans la montagne, ramasser des fruits sur les arbres et dans les buissons. La rĂšgle exigeait que chaque singe donne le dixiĂšme de sa rĂ©colte au vieillard, et ceux qui ne le faisaient pas Ă©taient violemment fouettĂ©s. Tous les singes en souffraient mais n’osaient s’en plaindre.

Un jour, un jeune singe s’adressa aux autres : « Le vieil homme a-t-il plantĂ© tous les arbres fruitiers et buissons ? » Les autres rĂ©pondirent : « Non, ils ont poussĂ© naturellement. » Le jeune singe insista : « Ne pouvons-nous pas prendre les fruits sans la permission du vieil homme ? » Les autres rĂ©pondirent : « Si, nous pouvons tous le faire. » Le jeune singe continua : « Alors pourquoi devons-nous dĂ©pendre du vieil homme ; pourquoi devons-nous tous le servir ? »

Avant que le petit singe ne finisse sa phrase, tous les autres avaient compris et s’éveillaient.

La nuit mĂȘme, s’assurant que le vieil homme Ă©tait endormi, les singes dĂ©truisirent l’enclos dans lequel ils Ă©taient confinĂ©s. Ils prirent les fruits que le vieil homme avait emmagasinĂ©s et les emportĂšrent dans la forĂȘt pour ne jamais en revenir. Le vieil homme finit par mourir de faim.

Liu-Ji conclut : « Certains hommes, dans le monde, dominent leur peuple par l’imposture et non pas par la justice. Ne sont-ils pas comme le MaĂźtre singe ? Ils ne se rendent pas compte de leur confusion d’esprit. DĂšs que leur peuple comprend la chose, leurs ruses ne fonctionnent plus. »

 

Il est intĂ©ressant de noter que l’HĂ©braĂŻsme biblique et la tradition juive accordent une large place au bon sens. Kohelet (l’EcclĂ©siaste) et Mishlei (les Proverbes), les deux livres Ă©crits par le roi Salomon, sont justement des ouvrages de bon sens aux traits de caractĂšres universels et d’une vision pratique de la vie et du monde.

 

Mes maĂźtres Ă  penser contestaient frĂ©quemment mes subtiles reparties qui tentaient de leur faire entendre les raisons de ma contradiction, ils m’affirmaient simplement qu’elles ne satisfaisaient pas au « bon sens » du sujet en cours.

Ils voulaient, essentiellement, m’enseigner que si l’objection n’a pas de sens, elle n’est ni juste ni vraie. Dans le JudaĂŻsme, la foi dĂ©clarĂ©e et le sens cachĂ© sont Ă©quilibrĂ©s par la logique et la raison commune, mĂȘme le savoir-faire, aussi rigoureux soit-il, doit ĂȘtre mesurĂ© par ce que je nomme, le juste entendement. Dans le ‘Mishlei’, le fautif n’est pas tant le principal objet de mĂ©pris du roi Salomon car, qui ne faute Ă  un moment donnĂ© de sa vie si ce n’est l’insensĂ©, celui qui manque de bon sens, de jugeote.

 

Selon le roi Salomon, le manque de bon sens causera inĂ©vitablement une erreur profonde de jugement, une faute d’apprĂ©ciation fatale et une terrible catastrophe au final. Personne ne prĂ©mĂ©dite une telle chose, nul ne pense pouvoir se tromper, chacun spĂ©cule sur ses analyses des pour et des contre et, trop souvent, de maniĂšre subjective. Tout cela nous entraine vers de fĂącheuses erreurs, des jugements stupides qui deviennent trĂšs vite les dĂ©sastres de notre Histoire. Pourtant, si les processus de la pensĂ©e ne sont pas conduits par le bon sens instinctif et la jugeote rĂ©flĂ©chie, prĂ©sents en chacun de nous, nous voilĂ  perdus entre charybde et scylla. Le JudaĂŻsme croit au bon sens collectif au sein de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble, ĂȘtre a l’écoute de la ‘vox populi’ est un refrain communĂ©ment rĂ©itĂ©rĂ© par nos Sages. Nous devrions, ainsi, nous efforcer de rendre le bon sens plus ordinaire, la jugeote plus habituelle dans notre vie quotidienne, personnelle et nationale.

 

« Les ĂȘtres imprĂ©gnĂ©s d’amour pĂ©nĂštrent les couches de l’HumanitĂ© et rencontrent des factions de nations, de religions, d’oratoires et d’idĂ©aux contradictoires. Ils s’évertuent de toutes leurs forces Ă  rĂ©unir en un toutes les parties, de rassembler et de fĂ©dĂ©rer, aidĂ©s du bon sens spirituel de leur Ăąme si pure qui s’élĂšve et plane vers les zĂ©niths Divins au-dessus de toutes les contraintes. Ils reconnaissent que toutes les particularitĂ©s doivent devenir totalitĂ©, que les meilleures formes sociĂ©tales doivent ĂȘtre promues et doivent entrer avec toute la fĂ©licitĂ© de leur particularisme dans La lumiĂšre d’une vie parfaite. Ils dĂ©sirent que chaque particule soit prĂ©servĂ©e et exaltĂ©e, et l’ensemble achevĂ©, uni et rempli de paix. » (orot hakodesh. Rav Kook)


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