Si les Israéliens avaient entendu la manière dont le président américain parlait des otages, il est douteux qu’il aurait reçu les applaudissements tonitruants qui ont résonné d’un bout à l’autre de la place des Otages samedi dernier. Dire qu’ils étaient pour lui une préoccupation secondaire serait encore trop généreux.
Donald Trump, fidèle à son instinct de conquérant, n’a jamais caché sa priorité : éliminer le Hamas — à la manière américaine. Les vingt otages encore en vie (il confondait sans cesse le chiffre, comme s’il cherchait à le minimiser — « Freud aurait eu son mot à dire », ironise Amit Segal) n’étaient pour lui qu’un dommage collatéral. Ce n’est qu’après coup qu’il a compris combien cette question était existentielle pour les Israéliens — et donc cruciale pour leur gouvernement. Aux États-Unis, remarque Segal, les présidents sont rarement accusés de rencontrer trop peu de familles d’otages, mais plutôt trop souvent. Il suffit, écrit-il, de « googler Ronald Reagan » pour s’en convaincre.
Le calcul de Netanyahou
Lors des discussions précédant l’opération Chariots de Gideon 2, Benyamin Netanyahou évoqua la cicatrice que laisserait, dans la société israélienne, une conquête de Gaza payée du sang des otages. Sans doute n’y croyait-il pas vraiment. Depuis des mois, lui et Ron Dermer estimaient qu’une prise complète de Gaza, si elle devait débuter, ne serait jamais achevée. Segal note avec un brin de malice : « Quelque chose mijote », écrivait-il alors, avant d’ajouter une semaine plus tard : « Pas forcément un accord, ni une occupation — les signes pointent vers une troisième voie. »
La naissance du “ragoût”
Le printemps dernier, après la victoire israélienne sur l’Iran, Jérusalem chercha à capitaliser sur cet élan pour conclure un accord partiel. L’idée : libérer la moitié des otages et profiter d’un cessez-le-feu de soixante jours pour négocier des termes proches de ceux obtenus cette semaine. Mais Hamas, enhardi par la campagne mondiale dénonçant la « famine » à Gaza, refusa toute concession.
Trump, auréolé de son triomphe contre Téhéran, pensa que Tsahal pourrait écraser le Hamas aussi vite qu’il avait détruit le programme nucléaire iranien. Ce mélange d’arrogance américaine et d’obstination islamiste précipita la décision israélienne d’entrer dans Gaza City.
L’idée en revint au ministre Avi Dichter : « Conquérir la ville, c’est la fin du Hamas », lança-t-il lors d’une réunion. Mais, raconte Dermer, le miracle fut ailleurs : « Avant même que nos forces n’y pénètrent, trois jours de discussions sur l’opération produisirent ce que trois mois de négociations n’avaient pas réussi à obtenir. Hamas accepta soudain un accord partiel. Mais il était déjà trop tard. »
Deux voies, un dilemme
Israël se retrouva face à un choix cornélien : soit achever la conquête de Gaza et instaurer une administration militaire sous parrainage américain — ce qui, selon Netanyahou et Dermer, exigeait une unité nationale et un soutien explicite de Trump. Or le premier manquait, et le second restait incertain. L’autre option consistait à mettre en œuvre un plan israélien dirigé par Washington et appuyé par les États arabes.
La touche américaine
Ronald Reagan disait à ses conseillers : « Rédigez les plans, je me chargerai de les vendre. » C’est précisément ce que fit Trump, avec Dermer en architecte principal. Il était clair que tout projet estampillé « israélien » était voué à l’échec diplomatique. Cela ne signifiait pas que chaque message était coordonné, précise Segal, mais sur les grandes lignes, Washington et Jérusalem marchaient d’un même pas.
Les négociations avec les puissances sunnites furent longues et harassantes. À New York, une session fut décrite par un diplomate comme « essayer de faire tenir dix éléphants dans une seule tente ». Les délégués israéliens en revinrent avec dix-sept remarques substantielles des États arabes — mais aussi, pour la première fois, un mince rayon d’accord à l’horizon.
9 septembre : le tournant décisif
Le matin du 9 septembre, une brève consultation réunit Netanyahou, le ministre de la Défense Israël Katz et Ron Dermer. Tous trois validèrent la frappe prévue à Doha. Les considérations furent nombreuses — mais aucun d’entre eux n’évoqua une hypothétique promesse faite au Qatar de ne pas viser de cadres du Hamas sur son territoire.
Quelques minutes avant l’attaque, Netanyahou décrocha son téléphone. Au bout du fil : Donald Trump.
Ce que Segal appelle la conversation du siècle dura moins de dix minutes. Le président américain, selon des témoins, se montra à la fois agacé et intrigué. Il avait promis à ses généraux une victoire propre, un Moyen-Orient stabilisé sans effusion inutile. Israël lui proposait au contraire une guerre sale mais décisive — celle qu’il redoutait autant qu’il admirait.
La frappe eut lieu. Et avec elle, un enchaînement d’événements qui allait redéfinir la région : un Qatar humilié, un Hamas ébranlé, un Trump vacillant entre pragmatisme et orgueil.
L’« Israël des possibles » dont parle Amit Segal n’est pas celui d’un rêve pacifié, mais d’un réalisme brutal : un pays contraint de choisir entre la morale et la survie, entre la reconnaissance internationale et l’instinct de défense. Et, comme toujours, un Premier ministre qui joue sur la ligne de crête — celle où les décisions les plus périlleuses deviennent, parfois, les plus stratégiques.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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