Depuis le 7 octobre, être un touriste israélien à l’étranger est devenu un exercice de vigilance permanente. Loin des clichés de la dolce vita estivale, de plus en plus de voyageurs venus d’Israël se heurtent à une hostilité grandissante dans les rues, les hôtels, les restaurants – de Paris à Vienne, d’Amsterdam à Athènes. L’antisémitisme se fait brutalement concret : coups, insultes, humiliations verbales, refus de service, voire agressions organisées. Cette nouvelle réalité oblige les Israéliens à redessiner leur carte du monde touristique, et à privilégier des destinations “low profile”, là où leur identité nationale ou religieuse ne fait pas d’eux une cible.
Le phénomène n’est plus marginal. Des incidents graves se sont multipliés dans les hauts lieux du tourisme méditerranéen : en Grèce, une manifestation pro-palestinienne a empêché plus de 1 600 passagers israéliens de débarquer sur l’île de Syros ; à Rhodes, des jeunes israéliens ont été attaqués à la sortie d’un club ; près d’Athènes, un migrant syrien a frappé un touriste israélien et lui a arraché une partie de l’oreille. À Amsterdam, le lynchage organisé contre des fans de Maccabi Tel-Aviv en novembre dernier reste dans toutes les mémoires.

À cette violence physique s’ajoute une ambiance délétère faite de regards haineux, de commentaires venimeux, et d’un sentiment général d’hostilité. Même la gastronomie n’échappe pas à la haine : en Australie, le restaurant « Miznon » du chef Eyal Shani a été vandalisé par des activistes, et des clients israéliens ont été agressés. En Autriche, des clients parlant hébreu ont été sommés de quitter une table. Dans les stations de ski, les stations-service ou les halls d’hôtels, des dizaines de micro-agressions ne sont jamais relayées mais nourrissent les récits de retour : “Là-bas, ils ne veulent plus de nous.”
Face à cette vague, le réflexe d’autoprotection s’installe. Selon les chiffres de plusieurs agences de voyages israéliennes comme Lastminute.co.il et Kesher Tourism, les réservations pour les destinations “proches et hostiles” comme l’Europe occidentale chutent. En revanche, les villes considérées comme “neutres” ou “accueillantes” enregistrent une forte hausse : +23 % pour Prague, +20 % pour Budapest, +17 % pour Dubaï, +15 % pour la Thaïlande, +13 % pour Bakou et +8 % pour Batoumi.
Dans les Balkans, l’ambiance est toute autre. De la Géorgie à l’Albanie, de la Bulgarie à la Roumanie, les Israéliens ne se sentent pas traqués. Même les Émirats Arabes Unis, dont l’alliance stratégique avec Israël reste stable, attirent de plus en plus de touristes, notamment vers Abou Dabi et Dubaï.
Le phénomène se ressent aussi dans les prix. L’explosion de la demande vers l’Est européen fait grimper les tarifs de 15 à 20 %. Par exemple, un séjour en septembre à l’Adria Hotel à Prague coûte aujourd’hui 843 dollars, contre 716 dollars l’an dernier. À Monténégro, l’hôtel Bella Vista affiche 775 dollars contre 702 en 2024. Et à Abou Dabi, le Sofitel grimpe de 820 à 989 dollars.
Qu’en est-il de la Grèce ? Malgré les tensions, elle reste en tête des réservations. Raison : la diversité des îles. Alors qu’Athènes et Rhodes subissent des désaffections (-22 % et -10 %), d’autres îles comme Mykonos et Santorin enregistrent respectivement +30 % et +20 % de réservations. La logique est claire : les Israéliens cherchent à rester sous le radar. Pas de signes extérieurs visibles, pas d’hébreu crié dans les rues, et une préférence pour les séjours privés.
Shirley Cohen-Orekbi, vice-présidente de la société Eshet Tours, résume la tendance : « Celui qui évite de s’afficher comme israélien ne risque pas grand-chose. La Grèce est vaste, et de nombreuses destinations sont accueillantes. On assiste à une montée des préférences pour les Balkans et les villes de l’Est européen, là où les gens ne vous jugent pas pour votre passeport. »
Un sentiment confirmé par Oren Cohen-Meguri, de la compagnie HaShatiah HaMeofefet, qui évoque des “événements isolés mais sous surveillance” en Grèce. Il souligne que les autorités locales, conscientes de l’importance de la clientèle israélienne, prennent des mesures concrètes. À Rhodes, l’arrivée du navire israélien Crown Iris a été encadrée par une sécurité renforcée, résultat d’une pression directe de l’armateur Moshe Mano sur les responsables grecs, eux-mêmes reconnaissants envers la fidélité des touristes israéliens à l’économie locale.
Même le ministre grec de la Sécurité publique, Michalis Chrisochoidis, a condamné les manifestations pro-palestiniennes violentes, et promis des poursuites pour tout acte discriminatoire à l’avenir. Il a même invoqué la loi contre le racisme pour justifier une ligne plus dure envers les perturbateurs.
En conclusion, les Israéliens n’ont pas renoncé à voyager – mais ils changent leur fusil d’épaule. Ils choisissent désormais des destinations “discrètes”, où l’accueil reste chaleureux, les risques faibles, et les souvenirs de vacances garantis sans crachat ni gifle. Prague, Budapest, Dubaï, Crète, Corfou, Monténégro : autant de nouvelles escales où l’identité juive peut encore rimer avec sérénité.
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