Il y a des mots qui claquent comme une gifle. Lors d’une séance houleuse de la commission constitutionnelle de la Knesset, des familles israéliennes endeuillées ont publiquement qualifié Ronen Bar, directeur du Shin Bet (le service de sécurité intérieure), et Yair Golan, ancien général et figure politique controversée, de « traîtres ». Ce moment de tension, qui a choqué une partie de l’opinion publique et mené à l’expulsion de ces familles de la salle, révèle le fossé grandissant entre certaines autorités de l’État et une société civile profondément meurtrie par la guerre et le terrorisme.

Mais que s’est-il vraiment passé ? Pourquoi ces familles, dont les proches ont été assassinés ou enlevés par le Hamas, en sont-elles venues à accuser des figures centrales de la sécurité et de la politique israéliennes de trahison ? Et que cela dit-il de la confiance entre l’État et son peuple dans une période de crise nationale ?

Un climat déjà tendu

Le contexte est lourd : depuis le 7 octobre 2023, Israël vit dans une douleur constante. L’attaque surprise du Hamas ce jour-là, avec ses massacres, ses prises d’otages et ses destructions, a laissé une cicatrice ouverte dans la conscience nationale. Chaque jour depuis, l’armée, les services de renseignement et les dirigeants sont sous pression pour répondre, rassurer, et surtout : protéger.

Mais pour de nombreuses familles, la douleur de la perte est inséparable de la colère. Colère contre un État qui, à leurs yeux, a failli. Pourquoi n’a-t-on pas anticipé l’attaque ? Qui est responsable ? Pourquoi les otages ne sont-ils pas encore tous revenus ?

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C’est dans ce climat explosif que la commission constitutionnelle a convoqué une séance pour discuter du rôle des institutions sécuritaires, et notamment du Shin Bet, dans la préparation et la réaction face aux événements tragiques de 2023.

Ronen Bar sur la sellette

Ronen Bar, directeur du Shin Bet depuis 2021, est une figure respectée dans les cercles sécuritaires. Mais il a été directement mis en cause dans l’échec de l’anticipation de l’attaque du Hamas. Bien qu’il ait reconnu publiquement une partie de la responsabilité, cela ne suffit pas aux yeux des familles.

Lorsqu’il a pris la parole devant la commission, plusieurs membres du public – des proches de victimes du 7 octobre – se sont levés. Des cris ont fusé :
« Tu as abandonné nos enfants ! »,
« Traître ! »,
« Tu devrais avoir honte ! »

Des mots d’une rare violence dans une enceinte officielle, mais qui expriment une détresse immense. Le président de la séance a immédiatement ordonné leur expulsion, ce qui n’a fait qu’aggraver la tension.

Yair Golan, la figure de discorde

Yair Golan n’est pas étranger à la controverse. Ancien chef adjoint de l’armée, il s’est illustré par des positions politiques très critiques vis-à-vis du gouvernement actuel, notamment sur la question palestinienne. Membre du camp de gauche, il est parfois vu, à tort ou à raison, comme un homme plus préoccupé par l’image d’Israël à l’étranger que par sa sécurité intérieure.

Pour certains proches de victimes, Golan symbolise un certain « déni de réalité ». Sa présence lors de la même séance a été ressentie comme une provocation. Lorsqu’il a tenté de défendre Ronen Bar, les cris sont repartis de plus belle.

« Vous protégez vos amis, pas le peuple ! », a hurlé une mère dont le fils est toujours otage à Gaza.

Une fracture entre le peuple et ses élites ?

Ce moment, aussi dramatique soit-il, n’est pas un simple éclat émotionnel. Il révèle une réalité plus profonde : la crise de confiance entre une partie des citoyens israéliens et leurs institutions.

Ce qui était autrefois un lien sacré entre l’État et ses soldats, entre le Shin Bet et les civils, entre l’armée et les familles, semble aujourd’hui ébranlé. Le sentiment d’abandon, l’impression que les élites vivent dans une autre réalité, sont palpables.

Et pourtant, Israël reste une démocratie vibrante. Les familles ont osé dire leur douleur dans une enceinte officielle. Elles ont été expulsées – certes –, mais leur cri a résonné dans tous les médias. La démocratie, c’est aussi cela : une parole libre, même si elle dérange.

La réaction du public

Les réactions n’ont pas tardé. Certains éditorialistes ont dénoncé un manque de respect envers les institutions, accusant les familles d’instrumentaliser leur douleur pour des raisons politiques. D’autres, au contraire, ont défendu leur droit à s’exprimer, estimant que le pays doit écouter ses blessés pour guérir.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de l’altercation ont fait le tour du pays. Les commentaires sont partagés, mais une chose est claire : le débat sur la responsabilité morale et opérationnelle du 7 octobre est loin d’être clos.

Ronen Bar : entre silence et pression

Depuis cette affaire, Ronen Bar a évité les apparitions publiques. Certains réclament sa démission, d’autres appellent à la patience. Mais le malaise est réel. Peut-on encore faire confiance aux services de sécurité ? Peut-on encore croire en la promesse que « plus jamais ça » ?

Bar, pourtant, est un homme de terrain, qui a consacré sa vie à la sécurité d’Israël. Est-il coupable de ne pas avoir vu venir l’inimaginable ? Ou est-il le bouc émissaire d’un système entier qui a failli ? La commission devrait publier un rapport dans les semaines à venir – mais suffira-t-il à apaiser la colère ?

Vers une refondation du pacte social ?

Ce moment de tension pose une question fondamentale : comment l’État d’Israël peut-il reconstruire la confiance entre ses institutions et son peuple ?

Les familles endeuillées ne demandent pas seulement justice : elles veulent du sens. Elles veulent croire que la mort de leurs enfants ne fut pas vaine. Que le pays en tirera les leçons. Que cela ne se reproduira plus.

Pour cela, Israël doit peut-être faire plus que des enquêtes. Il doit se regarder en face, écouter les cris de ses citoyens, même les plus durs, même les plus douloureux.

Car si le peuple perd foi dans ceux qui doivent le protéger, c’est toute la structure démocratique et sécuritaire qui est en jeu.