Une scène inhabituelle s’est déroulée la semaine dernière sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion : un immense Antonov AN-124, l’un des plus gros avions-cargos au monde encore opérationnels, a atterri en Israël avant de charger un équipement militaire sensible de fabrication israélienne. L’appareil, immatriculé UR-82008 et opéré par Antonov Airlines, a quitté le pays après plusieurs heures d’opérations au sol. Selon des données de vol publiées par Defense Blog et confirmées par plusieurs sites internationaux de suivi aérien, l’avion a ensuite mis le cap sur Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Les indications convergent vers un même scénario : Israël a transféré à la Géorgie des systèmes de défense aérienne SPYDER, produits par Rafael Advanced Defense Systems.
Même si aucune confirmation officielle n’a été donnée par Israël, par la Géorgie ou par Rafael — comme il est d’usage dans les transferts d’armement sensibles —, les éléments factuels s’additionnent. L’avion est arrivé des Émirats arabes unis, a été stationné dans une zone réservée du tarmac, puis a procédé à un chargement classifié avant de redécoller. Ce type de logistique est typique des livraisons stratégiques. L’AN-124 n’est mobilisé que pour des équipements très volumineux, tels que des systèmes de défense complets, des tubes de lancement, des radars ou des éléments de batteries antimissiles.
Le SPYDER (Surface-to-air PYthon and DERby) est l’un des fleurons de l’industrie israélienne. Selon les données officielles publiées par Rafael et les analyses de Jane’s Defence Weekly, il s’agit d’un système mobile capable d’intercepter une large gamme de menaces aériennes : avions, hélicoptères, drones, missiles de croisière légers, roquettes et munitions guidées. Les versions les plus récentes, SPYDER-MR et SPYDER-LR, atteignent des portées allant jusqu’à 80 kilomètres et peuvent être intégrées dans un réseau radar multi-senseurs. Leur particularité est d’utiliser des missiles dérivés des célèbres Python-5 et Derby, déjà éprouvés en combat par l’armée de l’air israélienne.
La Géorgie, confrontée depuis la guerre de 2008 avec la Russie à une menace permanente dans la région du Caucase, cherche depuis plus d’une décennie à moderniser ses capacités de défense aérienne. Reuters rappelle que Tbilissi a signé en 2008 plusieurs accords de coopération militaire avec Israël, dont celui portant sur la fourniture d’équipements et de technologies de pointe. Si ces relations ont parfois été ralenties pour des raisons diplomatiques, elles n’ont jamais été rompues. Le transfert probable de systèmes SPYDER marque donc un renforcement clair de cette coopération, dans un contexte géopolitique redevenu extrêmement tendu.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, Moscou observe avec suspicion tout rapprochement entre Israël et les États du Caucase. Le Jerusalem Post note que des exercices militaires conjoints entre Tbilissi et plusieurs pays occidentaux ont récemment été menés, au grand agacement de Moscou. La livraison d’un système SPYDER — même sans confirmation publique — serait donc interprétée par le Kremlin comme un signal stratégique important. Pour Israël, ce type de coopération reste toutefois conforme à sa doctrine d’exportation : soutenir des partenaires régionaux tout en protégeant les technologies les plus sensibles.
La logistique elle-même raconte une histoire. L’AN-124 est devenu extrêmement rare depuis la guerre en Ukraine : beaucoup d’appareils ont été détruits ou immobilisés. Le vol de l’UR-82008, longuement suivi par des milliers d’observateurs sur FlightRadar24, atteste de l’importance du matériel transporté. Comme le souligne Defense Blog, ce type d’avion n’est affrété que pour des équipements stratégiques que les avions-cargos classiques ne peuvent pas transporter.
Le choix de la Géorgie n’est pas anodin. Située entre la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Turquie, elle représente un couloir énergétique essentiel vers l’Europe et un point d’équilibre géopolitique majeur. Un renforcement de sa défense aérienne contribue donc à la stabilité régionale — et indirectement à la sécurité d’Israël, qui entretient des liens étroits avec plusieurs pays du Caucase et d’Asie centrale. De plus, comme le rappelait la BBC dans une analyse récente, Israël a depuis des années développé une stratégie d’alliances périphériques, basée sur la coopération sécuritaire avec des nations n’ayant pas d’hostilité envers l’État hébreu.
Il reste que le silence officiel demeure total. Ni le ministère israélien de la Défense ni Rafael n’ont commenté l’opération, et ce mutisme est révélateur. Les transferts d’armements israéliens sont strictement encadrés, notamment pour éviter d’alimenter des conflits actifs. La Géorgie, bien que sous tension, n’est pas considérée comme un belligérant actif, ce qui ouvre la voie à des coopérations plus avancées. Le Parlement géorgien a d’ailleurs voté ces dernières années plusieurs crédits destinés à la modernisation des systèmes anti-aériens du pays.
En définitive, l’atterrissage de l’AN-124 à Ben Gourion et son départ vers Tbilissi témoignent de la place croissante d’Israël dans l’architecture sécuritaire eurasiatique. Le SPYDER, qui protège déjà plusieurs pays dont l’Inde, Singapour ou encore le Vietnam selon les données publiques de Rafael, pourrait devenir un pilier de la défense géorgienne. Une opération discrète, mais lourde de sens : Israël exporte non seulement une technologie de pointe, mais aussi une doctrine de défense fondée sur la réactivité et la supériorité technologique.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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