« À chaque instant, je savais qu’on pouvait me tirer dessus », raconte le lieutenant-colonel (réserve) Eyal Dror, ancien responsable de l’administration « Bon Voisin », qui a opéré en Syrie entre 2016 et 2018. « Je me suis régulièrement entretenu avec des chefs rebelles, et ils ont travaillé pour notre sécurité », ajoute le général de réserve Yair Golan, ancien commandant du front nord pendant la guerre civile. Cette initiative rare a permis à Israël de prendre des risques importants, de sauver des milliers de Syriens et d’en tirer des bénéfices non négligeables.
En 2016, une fillette syrienne de 9 ans atteinte de diabète de type 1 a été transférée dans un hôpital israélien. Un jour, en l’attendant avec sa mère, elle m’a demandé : « Comment dessine-t-on le drapeau israélien ? » raconte le lieutenant-colonel Eyal Dror. Après neuf tentatives, elle a réussi à dessiner l’étoile de David et a écrit en haut « Wiyam ❤️ Abu Yaqub », le surnom donné à Dror par les Syriens. « Cela résume l’histoire de ‘Bon Voisin’ : une enfant d’un pays ennemi qui dédie un dessin à un officier israélien qui lui a sauvé la vie », dit Dror.
Cette citation illustre l’esprit du projet « Bon Voisin », lancé par Israël pendant la guerre civile syrienne pour offrir une aide humanitaire aux civils syriens vivant près de la frontière. Entre 2016 et 2018, cette initiative a sauvé des milliers de vies en offrant des soins médicaux, des denrées alimentaires et d’autres formes de soutien.
Un contexte complexe
La guerre civile syrienne, déclenchée en mars 2011 dans le cadre du « Printemps arabe », a causé la mort de plus d’un demi-million de personnes et déplacé des millions d’autres. Israël a dû rapidement s’adapter à la présence de 250 000 civils syriens vivant dans des conditions chaotiques à proximité de sa frontière.
Pour Israël, l’objectif était double : fournir une aide humanitaire et, en même temps, modifier la perception des Syriens à l’égard de l’État hébreu. « Les cyniques diront que nous avons exploité leur souffrance », explique Dror, « mais nous avons choisi de consacrer des ressources et de risquer nos vies pour les aider. »
Des liens inattendus avec les rebelles
L’aide humanitaire s’est développée parallèlement à une collaboration stratégique avec des groupes rebelles syriens. « Je rencontrais régulièrement leurs leaders. Beaucoup m’ont dit : ‘Nous pensions que vous étiez le diable’, » raconte Dror.
Ce partenariat s’est avéré crucial pour la sécurité d’Israël. En échange d’une aide médicale et logistique, les rebelles ont maintenu la frontière exempte d’éléments extrémistes, comme le Hezbollah et des groupes islamistes radicaux. « Ces milices ont contribué à notre sécurité en gardant la frontière », déclare Yair Golan.
Une aide humanitaire inédite
Entre 2016 et 2018, plus de 4 500 blessés syriens, principalement des victimes de la guerre civile, ont été soignés dans des hôpitaux israéliens. Un hôpital de campagne et une clinique mobile ont également été créés pour répondre aux besoins médicaux urgents. Environ 1 400 enfants souffrant de maladies chroniques ont reçu des soins réguliers.
« Israël a mis en place une sorte de caisse de santé pour les Syriens, » explique Dror. « Nous avons travaillé avec des organisations internationales pour établir une infrastructure de soins adaptée aux besoins locaux. »
Un héritage durable
Bien que l’administration « Bon Voisin » ait cessé ses activités en 2018, son impact reste visible. « Les habitants de la région se souviennent de l’aide reçue d’Israël, » affirme Dror. Selon lui, ces initiatives ont semé les graines d’une relation plus pacifique entre les deux peuples.
« Nous avons sauvé des vies, apporté une aide humanitaire et renforcé notre sécurité, » conclut Golan. « Ces actions étaient non seulement moralement justes mais aussi stratégiquement avantageuses pour Israël. »
Cependant, l’avenir des relations entre Israël et la Syrie reste incertain. Dror est convaincu que le savoir-faire et les infrastructures développés pourraient être réactivés si les deux parties le décident. « Il faudra encore de la patience, mais les bases existent déjà. »