Yair Netanyahou et la bataille des “jobs sionistes” : quand les institutions du mouvement sioniste virent au champ de bataille politique

Ce qui devait être une nomination symbolique s’est transformé en véritable scandale d’État. L’annonce de la candidature de Yair Netanyahou, fils du Premier ministre, à la tête d’une division de l’Organisation sioniste mondiale (OSM) a déclenché un torrent de critiques, révélant au grand jour les luttes de pouvoir et les privilèges qui gangrènent depuis des années les institutions du sionisme officiel.

Le projet était clair : dans le cadre d’un accord de coalition entre le Likoud et plusieurs partis religieux, le ministre de la Culture Miki Zohar devait attribuer à Yair Netanyahou la direction d’un département stratégique au sein de l’OSM, financé par la Keren Kayemet LeIsrael (KKL) — le Fonds national juif. Mais l’information, dévoilée par Calcalist puis reprise par Haaretz, a provoqué un tollé politique immédiat.

Le chef de l’opposition Yair Lapid a fustigé une “tentative éhontée de transformer les institutions sionistes en agence d’intérim familiale”. Il a annoncé que son parti Yesh Atid se retirait purement et simplement de toutes les instances de l’OSM :

“Nous ne prendrons ni postes, ni budgets, ni privilèges. Nous n’avons pas rejoint la politique pour gérer les affaires de la famille Netanyahou et des alliés du Shas.”

Derrière cette polémique se cache une réalité bien plus vaste : un système tentaculaire de nominations politiques, où des centaines de postes — souvent assortis de salaires comparables à ceux de ministres — sont distribués selon le nombre de sièges obtenus lors du dernier Congrès sioniste mondial.

Selon une enquête de Calcalist, 146 postes sont actuellement attribués entre les différentes factions politiques israéliennes, soit plus du double d’il y a dix ans. Chaque “chef de département” dispose d’un budget annuel d’environ 1,2 million de dollars, de deux assistants personnels et d’un chauffeur. Et l’on y retrouve les visages familiers du clientélisme israélien : ex-députés, proches de partis ou enfants de responsables.

La KKL, principal bailleur de fonds de l’OSM, alimente chaque année ces structures à hauteur de 100 millions de dollars, issus principalement des revenus fonciers générés par la vente de terrains appartenant historiquement au Fonds national juif. En 2022, ce budget a même atteint un record de 6,8 milliards de shekels, porté par l’envolée du marché immobilier israélien.

Pour ses détracteurs, ce système détourne la mission initiale du sionisme : le développement du pays et l’éducation juive. “C’est devenu une fabrique de salaires dorés”, dénonce un ancien haut fonctionnaire de la KKL. “On parle de pionniers et d’idéal, mais sur le terrain, ce sont des deals entre factions politiques.”

Dans ce contexte, la tentative de placer Yair Netanyahou à la tête d’une division n’a fait qu’attiser le feu. Les adversaires du Premier ministre dénoncent une manœuvre pour offrir au fils du chef du gouvernement une tribune diplomatique et financière en vue d’un futur rôle public.

Mais dans le camp du Likoud, on défend la nomination comme légitime. “Yair Netanyahou est diplômé, patriote, et parle le langage des jeunes Juifs de la diaspora”, plaide un député du parti. “Il a toute sa place dans le mouvement sioniste mondial.”

Les chiffres révèlent toutefois l’ampleur de l’enjeu : chaque poste de direction à l’OSM donne accès à des budgets de subventions pour projets communautaires, souvent à l’étranger. En pratique, ces postes permettent de financer des associations affiliées à certaines tendances religieuses ou politiques — un levier d’influence considérable.

La réforme en cours à la KKL, lancée par le ministre des Finances Bezalel Smotrich, vise justement à introduire plus de transparence et de supervision étatique sur ces fonds, accusés de financer à perte des projets partisans.

Le sociologue Dr. Ariel Rubinstein résume le malaise :

“Le sionisme a été fondé sur la vision d’un peuple qui se prend en main. Aujourd’hui, il est devenu un système de rente géré par ceux qui s’en réclament.”

La question dépasse le cas Yair Netanyahou. Elle met en lumière la difficulté d’Israël à réconcilier l’idéal sioniste et la réalité bureaucratique d’un État moderne, où les institutions historiques du mouvement — l’OSM, la KKL, la Sochnout — servent souvent de refuge aux ambitions politiques.

Dans les couloirs de l’Organisation sioniste mondiale à Jérusalem, un employé lâche à demi-mot : “Ce n’est pas Yair le problème. C’est le système. Et tout le monde en profite.”

En attendant, le jeune Netanyahou voit sa nomination suspendue. Les discussions de coalition sont gelées, tandis que la presse internationale s’empare de l’affaire, soulignant “l’ombre du népotisme” autour du Premier ministre.

Entre idéalisme sioniste et pragmatisme politique, cette affaire aura eu le mérite de poser une question essentielle : que reste-t-il de l’esprit de Herzl, lorsque les institutions censées bâtir le rêve juif deviennent des machines à carrière ?


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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