Ofri, la sœur de Yarden Bibas, captif à Gaza, écrit une lettre à son frere retenu à Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Mon cher Yarden, mon Dodgi,

J’essaie de me rappeler du dernier Rosh Hashana, qui semble s’être passé dans une autre vie. C’est la dernière fois que nous nous sommes vus. Shiri et toi êtes arrivés en retard chez grand-père, comme toujours. Ariel a couru avec joie et a enlacé Toham, ma fille, comme à chaque fois. J’ai pris Kfir dans mes bras et il a souri, comme toujours.

Je ne me souviens de rien de spécial ce soir-là, je n’ai pas essayé de retenir des détails ou de prêter particulièrement attention, parce que je ne savais pas que tant de temps passerait avant que je ne vous revoie, peut-être même jamais. Je ne me souviens pas d’un moment où nous avons passé autant de temps ensemble. Peut-être, sans le savoir, avons-nous ressenti que tant de temps allait s’écouler avant de nous revoir ?

C’était la première fois que nous nous rencontrions après mon déménagement dans le nord. J’étais si habituée à vous avoir près de nous, que l’on se retrouve chez vous ou chez nous sur la terrasse, ou chez les parents à Tze’elim pour un pique-nique. Tu te rends compte que si tout s’était passé comme prévu, vous vivriez maintenant à côté de nous ?

Comme j’aimerais te parler maintenant. Te raconter tout ce qui s’est passé pendant cette horrible année, comment le monde s’est retourné. Je suis certaine que tout le cauchemar que nous vivons paraît insignifiant comparé à votre souffrance quotidienne là-bas. Et nous restons forts pour vous.

ירדן ביבס החטוף בעזה ואחותו עופרי (צילום: אלבום משפחתי)

La dernière fois que j’ai entendu ta voix, que je t’ai vu, c’était dans cette vidéo terrible filmée par le Hamas. Tu semblais épuisé, amaigri. Je te connais, je sais que Shiri et les enfants sont tout pour toi. Les otages libérés m’ont dit combien tu parlais d’eux, combien tu t’inquiétais pour eux. Ils m’ont aussi raconté combien tu as été courageux, comment tu es sorti de l’abri pour les protéger.

ירדן ביבס החטוף בעזה ואחותו עופרי (צילום: אלבום משפחתי)

Même Jimmy, qui a été libéré, m’a beaucoup parlé de toi, de vos conversations, de la façon dont vous vous souteniez mutuellement, comment vous vous promettiez de vous retrouver aux Philippines. Il m’a aussi décrit les conditions terribles dans lesquelles vous êtes détenus : dans un tunnel, dans l’obscurité, dans une cellule verrouillée, sans eau pour boire ou vous laver.

Tu es entré dans le cœur de tout le monde. Cela ne m’étonne pas. Tu as ce talent pour parler et te connecter à chacun.

משפחת ביבס

J’aimerais tellement être avec toi là-bas. Te serrer dans mes bras, te réconforter, te dire que nous ne savons toujours pas ce qui est réellement arrivé à Shiri et aux enfants. Que nous espérons toujours qu’ils vont bien, et que vous nous reviendrez tous bientôt.

Je suis sûre que tu t’inquiètes aussi pour maman. Elle est ici avec nous dans le nord, et papa est à Tel-Aviv, occupé à participer à de nombreux événements pour continuer à vous rappeler à tous. Maman m’a raconté votre dernier trajet ensemble depuis Ashkelon, deux jours avant. Elle m’a dit combien tu étais inquiet, sentant que quelque chose de mauvais venait de Gaza. Tu ne pouvais plus supporter l’angoisse de vivre près de la frontière. Elle m’a aussi parlé de la dernière chanson que vous avez écoutée ensemble, « Road back home ». Si symbolique, triste, mais quand même porteur d’espoir. J’espère tant que tu écoutes encore un peu de musique, qu’elle t’apporte un peu de réconfort.

שירי ביבס נחטפת מביתה עם ילדיה אריאל וכפיר ביבס

J’aimerais que tu saches qu’Ariel et Kfir, tes petits roux, sont célèbres et aimés dans le monde entier. Nous avons vu comment Shiri les a protégés ce jour-là, et sûrement à chaque instant depuis. Je suis sûre qu’ils te manquent tellement. Je veux que tu saches que tu as un nouveau neveu, Afik. J’attends le moment où tu pourras le rencontrer. Il a déjà quatre mois.

Dodgi, vous devez sûrement vous demander souvent comment il est possible que tant de temps ait passé et que vous soyez toujours là. Est-il possible qu’on vous ait abandonnés ?

Moi-même, j’ai peur de la réponse, mais je dois l’admettre : vous n’êtes pas la priorité du Premier ministre. Il privilégie la « victoire totale », ce slogan vide pour lequel il est prêt à sacrifier vos vies. Nous tous ici, et vous plus que tout, payons un prix très lourd. Le principal devoir qu’il a envers vous – corriger l’échec – il ne l’a toujours pas rempli. Cela fait déjà un an.

Dans trois jours, tu auras 35 ans, et tu seras entouré par les terroristes du Hamas. Joyeux anniversaire, tu es le premier captif à fêter deux anniversaires en captivité. Je suis sûre que tu trouveras quelque chose de drôle à dire à ce sujet. Ce jour-là, j’essaierai d’imaginer être avec toi, et rire un peu avec toi.

Je t’aime et tu me manques tellement.

Ta sœur, Ofri.