Nous défendons nos croyances comme si notre vie en dépendait
(comment j’ai failli mourir pour une sandale de plastique à 10 Euros)

Une chose est pour moi quasi-incompréhensible : La capacité que nous avons de défendre nos croyances et nos idées avec becs et ongles et à refuser, rejeter, ignorer, nier les faits qui les contredisent.
Quand je parle de croyances je ne parle pas seulement de croyances religieuses mais de toutes sortes de croyances, qu’il s’agisse de la croissance économique, du soutien à un club de football ou de la personne que nous croyons être.
Cette „dépendance“ à nos croyances peut aller jusqu’à nous faire risquer nos vies et donc aller à l’encontre de notre instinct biologique de survie.

Prenons un exemple : Le drapeau.
À l’origine les drapeaux étaient des instuments de communication. Chaque régiment avait son drapeau et, lors des batailles, un groupe de „communiquants“, rassemblé sur une colline avec tous les drapeaux des régiments pouvait ainsi communiquer les ordres du général ou de l’état-major. Il y avait tout un „langage“ des drapeaux, tout un code, selon l’orientation des drapeaux ou ses mouvements (attaque, retraite, feu, mouvement sur la droite etc…)
On comprend aisément que la perte d’un drapeau était catastrophique car le régiment n’avait plus aucun moyen de communiquer avec l’état-major. Le régiment était d’un coup aveugle et sourd en pleine bataille ce qui signifiait l’anéantissement et l’extermination dans la plupart des cas.
On comprend alors que les hommes qui avaient la garde des drapeaux étaient prêts à mourir pour les défendre.
Au fur et à mesure des progrès techniques (Morse, téléphones de campagne…) le drapeau perdit sa fonction de communication mais garda sa fonction symbolique: Le défendre au péril de sa vie.

Inutile de préciser que ce serait aussi fou que de vouloir risquer sa vie pour son smartphone.
Et pourtant le drapeau n’a pas perdu son aura sacrée (levée des couleurs, salut au drapeau, défilé du 14 Juillet) alors qu’il ne s’agit que d’un morceau d’étoffe.
Je n’ai rien contre le drapeau ! Je réagis même fortement lorsque des imbéciles le souillent. J’ai simplement voulu démontrer comment une croyance peut s’ancrer en nous et persister alors même que sa fonction primaire a disparu.

Il y a énormément de croyances ancrées en nous : La nuit de Noël  (alors que l’on sait que Jésus n’est certainement pas né cette nuit-là), le mythe de la vierge Marie (!), la supériorité du véganisme en matière de santé, la nécessité de manger de la viande pour ses apports de protéines ou le mythe de la croissance économique perpétuelle sur une planète par essence limitée…

Passons maintenant à un exemple de croyance qui fut contredite indubitablement par les faits : En 1957, Leon Festinger, un psychosociologue, analysa la croyance d’un groupe de personnes rassemblées autour d’un gourou qui déclarait qu’à telle date la fin du monde aurait lieu et que seul ce groupe serait sauvé par la venue d’extre-terrestres en soucoupes volantes. À la date prévue rien ne se passa et les membres du groupe dirent alors que les extra-terrestres avaient décidé de donner à la terre une seconde chance grâce aux prières du groupe.
Leon Festinger nomma ce phénomène, le rejet des faits afin de conserver ses croyances „DISSONANCE COGNITIVE“.

Ne nous hâtons pas de nous moquer de ces personnes car nous sommes TOUS sujets de temps à autres à la dissonance cognitive. Au cours de mes 34 années de travail en tant que psychotherapeute, j’ai pu assister à d’innombrables exemples de dissonance cognitive et je dois avouer qu’il m’arrive plus qu’à mon tour d’y succomber.
J’ai vu des participants à mes séminaires persuadés de ne pouvoir être aimés, d’avoir des pensées ou des désirs inavouables, d’être trop grands, ou trop petits, ou trop gros, ou trop bêtes, ou trop moches, ou trop maladroits ou même d’être dégénérés… d’être des incapables, des fainéants, des lâches, des faiblards, des menteurs invétérés, des salauds, d’être condamnés à vivre seuls ou être persuadés de n’avoir aucune justification à vivre et de n’acquerir péniblement ce droit qu’en se dévouant aux autres, qu’en travaillant deux fois plus que les autres ou en se sacrifiant pour les autres.

Le fait d’avoir toutes sortes de fantaisies sur ce que l’on est, ce que sont les autres ou ce qu’est la vie n’est pas en soi quelque chose qu’il faudrait éliminer (d’ailleurs, on ne le peut pas!). Par contre confondre ces fantaisies avec la réalité, CROIRE que ces fantaisies sont réelles nous est fortement dommageable en ce que cela nous éloigne peu à peu de la santé mentale.

Ce qui est pour moi quasi-incompréhensible, je l’ai déjà évoqué au début de cet article, c’est l’acharnement avec lequel nous nous „accrochons“ frénétiquement à nos fantaisies même (et surtout) lorsqu’elles sont négatives et nous détruisent à petit feu.

Au début de ma carrière en tant que psychothérapeute, je travaillais avec une connaissance qui me dit un jour qu’elle souffrait de „dépression endogène“ c’est à dire de dépression qui survient de l’intérieur de la personne sans que l’on puisse déceler une cause extérieur (maladie, séparation, burn-out, etc…)
Un tantinet provocateur je lui répondis que la „dépression endogène „ n’existait pas et que c’était un nom donné par les médecins lorsqu’ils n’ont rien trouvé“.
Vous auriez dû voir à quel point elle devint furieuse et défendit sa „dépression endogène“ comme si sa vie en dépendait.

Il y a beaucoup d’explications à la „dissonance cognitive“:
– L’écart entre nos croyances et la réalité crée des tensions psychiques internes que nous essayons de diminuer, par exemple en niant les faits.
– Ces tensions peuvent aller jusqu’à provoquer des souffrances psychiques et même physiques : Le choix inconscient que nous faisons est : Plutôt rejeter la réalité que souffrir.
– Nous ne voulons pas passer pour des imbéciles qui ont eu des croyances qui se révèlent être fausses.
– Il y a bien d’autres explications que je n’analyserais pas ici et qui ont toutes, à mon avis, un fond partiel de vérité mais elles ne suffisent pas à expliquer cet acharnement incroyable à défendre ses croyances en dépit de preuves évidentes et flagrantes de leur fausseté.

Je voudrais proposer ici une théorie: Je crois qu’il s’agit de quelque chose de bien plus fort qu’une dissonance cognitive, une tension interne, une souffrance psychique ou même la crainte de passer pour un imbécile.
Je suppose qu’il s’agit de ce que les bouddhistes nomment l’identification. C’est à dire que nous nous identifions à ce que nous faisons, à ce que nous possédons, à nos pensées ou à nos émotions. Un automobiliste en attaque un autre qui a provoqué une aile froissée car il s’identifie à son auto. C’est comme si l’aile froissée était une part de lui-même qui a été agressée et blessée… Il faut comprendre que l’identification déclenche en nous des réactions physiques et émotionelles de survie (combattre, fuir ou se „statufier“).
Si je m’identifie à une croyance, quelle qu’elle soit, et que cette croyance est (ou semble) attaquée, je vais réagir COMME SI MOI j’étais attaqué et ceci avec la MÊME energie extraordinaire que lorsqu’il s’agit vraiment de survivre. Je vais défendre mes croyances, mon honneur, ma position sociale, mon auto ou mon nom comme s’il s’agissait de ma VIE. Les faits divers des journeaux ne racontent pas autre chose…

Deux anecdotes:
1) Je participais à un séminaire EST TRAINING (aujourd’hui FORUM) et l’entraineur nous dit : „Si tu t’identifies à tes lunettes et qu’elles tombent dans la rue tu vas te jeter par terre pour les sauver AU RISQUE DE TE FAIRE ÉCRASER“. À l’époque je ne l’avais pas compris et pas crû jusqu’à ce que…
2) …je dirige un séminaire en Ardèche. Jeudi est jour de repos et nous faisons du canoé. Je tombe à l’eau, ce qui n’est pas grave. Mais ma sandale en plastique achetée AVEC JOIE le matin même pour 10 Euros commence à glisser de mon pied. Je ne panique pas, respire un bon coup et nage sous l’eau pour attacher ma sandale. Je ne réussis pas, remonte en surface, respire et retourne sous l’eau sans mieux réussir. A la 3ème fois j’ai la présence d’esprit de me dire: „Edmond, choisis: Toi ou la sandale“. Je laisse la sandale sombrer dans la rivière…Pendant une heure je continue à regretter ma sandale perdue jusqu’à ce qu’avec le groupe nous achetons des glaces dans un café. Je prends une coupe Danemark et soudain j’éclate de rire: Elle coûtait 10 Euros, comme ma sandale pour laquelle J’avais failli risquer ma vie… Ce jour-là je compris ce que l’entraineur de EST avait voulu dire avec sa paire de lunettes.

Nous nous identifions à presque n’importe quoi: Notre métier, notre entreprise, nos livres, notre honneur, notre femme ou notre mari, nos parents, nos enfants, notre parti politique, notre équipe de foot-ball, notre pays, notre voiture (des gens sont morts pour une rayure de carrosserie)…

Il n’est pas question ici d’approfondir le concept d’identification dans le bouddhisme mais juste de proposer l’hypothèse suivante: „Nous défendons nos croyances comme si nous défendions nos vies car nous nous identifions à elles. Qui attaque mes croyances m’attaque moi et je les défendrais comme s’il y allait de ma vie“.

Je crois (!) que c’est la seule explication possible pour rendre compte de l’extraordinaire résistance aux faits, l’aveuglement, le déni, le rejet, les émotions et la violence de ceux qui dont les croyances sont mises en cause.

P.S.: Je pense à „Land for Peace“, au „Processus d’Oslo“, à „Deux Etats pour deux peuples“, au soi-disant „processus de paix“ et à tant d’autres chimères.