La pensée et l’étude sont couramment appréhendées comme un projet négligeable et superflu, pourquoi vouloir s’interroger là même où ordinairement on ne recherche plus rien ni personne.

C’est un peu comme si l’on avait implicitement convenu d’un pacte selon lequel il serait vain de réfléchir, puéril de se demander.

Essentiellement si les couloirs du supermarché regorgent de produits, si les programmes du petit et grand écran sont plaisants, nous nous trouvons indubitablement tout proche si ce n’est proche duParadis sur Terre. Dormez en paix bonnes gens, sur vos deux oreilles, et dispensez-vous de toute réflexion. La grande majorité de notre monde adulte, dans notre société de consommation, ne lit plus un bon livre depuis des années, mais par contre, peut vous réciter dans un même souffle les protagonistes et programmes insignifiants de l’audiovisuel.

Lorsque l’existence humaine a abandonné toute sagesse spirituelle, lorsqu’elle n’a plus d’autre valeur que matérielle, les estimations financières, seules, parsèment nos appréciations. Le bien-être devient une valeur monétaire qui se pratique comme le reste et s’évalue à ce que l’on est à même d’avoir, d’étaler, il se réduit à l’assurance économique, l’aisance et le plaisir matériel.

Le chien est satisfait quand sa niche est bonne et que son écuelle est bien garnie chaque jour. Il reste paisible car s’il se révoltait, il flairerait la chaîne qu’il a toléré avec le joug : le blâme de la société, les injonctions de l’opinion, la contrainte des finances, les malédictions de la religion, la rigidité de la loi, le pouvoir de la police, etc. Autant demeurer imperturbable.

Pour tous les atrophiés de l’institution sociale, pour tous ceux qui ne parviendront jamais au délice de la matière, que reste-t-il? Existe-t-il d’autres débouchés que la marginalité? L’échappée nihiliste dans la contre-culture? Le sarcasme révolté? Le désordre et la destruction? La drogue et la criminalité?

Quand la vie ne trouve plus de raison de vivre, que celle d’une survie sans devenir et sans lendemain, faut-il se laisser consumer par le dégoût et emporter les autres dans sa chute? Ôter l’arme du râtelier et ouvrir le feu au hasard dans la rue?

Le vide spirituel environnant est absorbant, comme la déglutition du lavabo dont parle Sartre pour signaler la complicité. Absorbant, désolant et démoralisant. D’autant plus qu’économiquement, il est dans l’intérêt du marché qu’il se poursuive, car il y gagne énormément. Quand on est perdu, on croit à tout ce qui pourra nous soulager, on accorde un crédit illimité à n’importe quelle illusion, n’importe quel artifice publicitaire. Moins l’existence a de raison d’être, plus elle consomme.

Dans un univers où la foi et la confiance en un idéal ont été corrompues, ne soyons pas surpris que l’agressivité soit en perpétuel renouveau, car elle n’est en vérité que l’expression d’une insatisfaction dans laquelle l’existence se considère prisonnière. Nous nous trouvons dans un espace où la colère et la rage endiguées n’espèrent qu’une rédemption de l’homme par l’homme.

Nulle fureur doctrinale ou combattante mais un cri de douleur et d’épuisement.

Dans son for intérieur ce que l’existence recherche c’est d’être précisément tangible au travers de ses nombreuses capacités si singulières. Elle aspire à un total épanouissement de ses propres facultés, une œuvre responsable d’elle-même. C’est justement la fonction des valeurs spirituelles que d’affranchir la nature de soi par soi-même. C’est seulement dans ses valeurs là qu’un rapport responsable, entre le soi et la vie, se bâtit.