Parasha nitzavim : comment vivre sa mort ? – Par Rony Akrich

POUR QUI PEUT LIRE
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“Personne ne peut affirmer qu’il ne passera jamais de l’autre cĂŽtĂ© de la barriĂšre des bien portants. Personne ne peut prĂ©tendre qu’il ne se retrouvera pas un jour sur un lit d’hĂŽpital, ni assis au chevet d’un proche malade ou prĂšs de sa fin.
Ce jour-lĂ , nous voudrions non seulement des soins efficaces mais des soins humains. Nous avons soif de ce regard, de ce sourire, de ce geste qui disent l’attention et le respect. De ces petites choses qui donnent le sentiment intime que l’on reste un ĂȘtre humain.” (Le souci de l’autre, Marie de Hennezel )

La Torah se nomme Ă©galement « Etz Chayim », arbre de vie, une maniĂšre de nous transmettre les valeurs, l’éthique et les lois inhĂ©rentes Ă  l’invite Divine exhortant les HĂ©breux Ă  choisir la vie.
Toutefois, notre façon de mourir est, tout ou partie, à l’image de notre façon de vivre.
Ainsi, lors de notre face Ă  face avec la grande faucheuse, nos ancĂȘtres bibliques peuvent nous servir de modĂšles rĂ©fĂ©rents quant Ă  notre propre attitude Ă  l’approche de la fin de vie. J’ai pensĂ© Ă  quelques exemples symboliques rencontrĂ©s lors de mes lectures bibliques:

Existe-t-il une bonne mort?

Aujourd’hui, une grande partie de la recherche autour de cette question dit oui, et cela ressemble à ceci :
1) Un décÚs à domicile ou dans un lieu de son choix
2) Une fin de vie entourĂ©e d’ĂȘtres chers ou dĂ©sirĂ©s
3) Une fin de vie libérée de tous les carcans relationnels insignifiants

Les organismes et les Ă©quipes de soins palliatifs, les membres de la famille des personnes mourantes constatent que ces Ă©lĂ©ments peuvent soulager l’anxiĂ©tĂ© et la douleur, et crĂ©er la paix et la sĂ©rĂ©nitĂ© en fin de vie.
Prenons le cas de Yaakov.
Non seulement il sait que sa mort est imminente, mais il a la clartĂ© d’esprit d’appeler chacun de ses enfants Ă  son chevet pour les bĂ©nir et leur donner des conseils pour les lendemains sans lui. (GenĂšse 47:28) Il rĂ©primande ceux qui en ont besoin et raconte sa propre vie. Yaakov demande mĂȘme Ă  ses enfants de l’enterrer aux cĂŽtĂ©s de ses ancĂȘtres.
En termes contemporains, il modĂ©lise une rĂ©vision de son existence, un travail d’hĂ©ritage, et prouve une volontĂ© Ă©thique. Toutes ces choses que les professionnels de la santĂ©, les thĂ©rapeutes, les hommes et femmes de religion doivent encourager si souvent. Yaacov n’a pas eu la vie Ă  laquelle il aspirait, ainsi s’en Ă©panche-t-il devant Pharaon:

« Et Yaakov répondit à Pharaon: « Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pÚres, les jours de leurs pérégrinations. » » (GenÚse 47:9)

Mais il a eu la mort qu’il voulait.
Il rassemble la pluralitĂ© de ses enfants, s’assurant de leur prĂ©sence Ă  tous afin d’entendre sa parole et, qui plus est, s’offre le luxe de faire tout cela dans le confort de son foyer.
Certes, au seuil de la mort, ce cas de figure n’est pas toujours possible.
Certains décÚs sont inattendus et imprévus.
Certains dĂ©cĂšs surviennent Ă  l’hĂŽpital, le seul endroit oĂč une personne peut obtenir les soins dont elle a besoin.
Quelquefois, l’agonisant n’est plus conscient ou cognitivement capable de transmettre ses souhaits.
Ne sachant guĂšre Ă  quoi ressemblera notre propre mort, il est important de s’y prĂ©parer le plus tĂŽt possible, avant mĂȘme d’ĂȘtre malade. Dire Ă  des ĂȘtres chers que nous les espĂ©rons Ă  nos cĂŽtĂ©s, quelles sont les mesures mĂ©dicales acceptables ou non, comment voulons nous que l’on se souvienne de nous. Tout cela peut ĂȘtre fait Ă  tout Ăąge.
Si ces conversations sont inconfortables, elles sont nĂ©anmoins l’expression ultime de l’amour.

Je trouve beaucoup de sagesse, pour nous tous, dans la mort de Yaakov. Il y a mĂȘme un cĂ©lĂšbre enseignement (Rashi sur GenĂšse 49:33) qui dit:
« Il expira, il fut réuni ».
Le terme de « mort » n’est pas employĂ© Ă  son sujet, de sorte que nos maĂźtres ont enseignĂ© : « Notre patriarche Yaakov n’est pas mort ! » (Ta‘anith 5b).

A mon humble avis, la leçon de ce commentaire est claire: laisser derriÚre soi des recommandations, un héritage spirituel et des bénédictions, nous évite de vraiment mourir.

Une personne peut-elle mourir d’avoir eu le cƓur brisĂ© ?
Dans la Torah, Sarah semble répondre, oui, trÚs certainement!
AprĂšs avoir souffert des annĂ©es durant, dans l’espoir d’engendrer un enfant, Sarah est enfin enceinte et accouche de son fils bien-aimĂ©, Itshaq. Un jour, Dieu ordonne Ă  son mari, Avraham, de sacrifier cet enfant chĂ©ri comme Ă©preuve de sa Foi. Lorsque Sarah dĂ©couvre le poteau rose, son fils est dĂ©jĂ  prĂȘt au sacrifice:

«Le rĂ©cit de la mort de Sarah fait immĂ©diatement suite Ă  celui du sacrifice de Itshaq. Lorsqu’elle a appris que son fils avait Ă©tĂ© ligotĂ© sur l’autel, prĂȘt Ă  ĂȘtre Ă©gorgĂ©, et qu’il s’en Ă©tait fallu de peu qu’il fĂ»t immolĂ©, elle en a subi un grand choc et elle est morte (PirqĂ© de Rabbi EliĂšzĂšr 32).» (Rashi sur GenĂšse 23 :2)

Bien qu’Itshaq ne soit finalement ni blessĂ© ni tuĂ©, le chapitre de la Torah dans lequel Sarah meurt s’intitule « Chayei Sarah » ou « La vie de Sarah », allĂ©guant que sa mort en dit long sur les tenants et aboutissants de son vĂ©cu dramatique.
Comment nous souviendrons-nous d’elle?
Que pouvons-nous apprendre de la mort de Sarah?

Le Rav Kalonymus Kalamish Shapira, connu sous le nom d’ « Aish Kodesh », mourut dans le ghetto de Varsovie. La mort de Sarah, Ă©crit-il, est une supplique Ă  Dieu, un plaidoyer pour tous ceux qui souffrent physiquement et moralement, nul ne le devrait. Si l’un des ĂȘtres les plus vertueux, gĂ©nĂ©reux et fidĂšles selon la Tradition, notre Matriarche, ne put endurer un tel calvaire, personne ne pourrait ni ne devrait avoir Ă  le faire. L’histoire de sa mort est une priĂšre Ă  Dieu, elle Lui demande d’intervenir, de nous soutenir, de nous rĂ©conforter et de nous protĂ©ger lorsque nous ne pouvons plus poursuivre, aller de l’avant.

Si nous sommes confrontĂ©s Ă  un chagrin insupportable dans notre propre vie, peut-ĂȘtre en faisant face Ă  notre propre maladie, notre mort ou celle d’un ĂȘtre cher, pouvons-nous penser Ă  Sarah?
Nous pouvons l’imaginer assise avec nous dans notre douleur, nous tenant la main – et peut-ĂȘtre mĂȘme pleurer avec nous.
Quand nous n’avons rien à dire à Dieu, Sarah est notre voix, exigeant que Dieu rende nos vies et nos morts meilleures que les siennes. Apprenons de son Histoire et disons dans nos priùres :
« Dieu, cela suffit ! S’il vous plaĂźt, donnez-moi la force de surmonter cela. S’il vous plaĂźt, que la mort de Sarah ne soit pas pour rien. S’il vous plaĂźt, guĂ©rissez mon cƓur brisĂ©. »

« Ce n’est pas Ă  vous de finir le travail, mais vous n’ĂȘtes pas libre d’y renoncer. » Disent les Pirkei Avot 2,16.
Nous pensons souvent que nous devons tout faire nous-mĂȘmes, que si nous ne le faisons pas, cela ne se fera point. À la fin de sa vie, Moshe, un leader habituĂ© Ă  tout faire, apprend Ă  ses dĂ©pens que cette façon de penser est contre-productive.
À ce jour, nous affirmons que personne ne fut comparable Ă  Moshe. Sa personnalitĂ© comme sa relation avec Dieu demeure unique dans l’Histoire.
Cependant Moshe était aussi un humain et le dénouement de sa vie arriva bien trop tÎt à son goût: il mourut sans avoir fini sa mission.
Si les HĂ©breux avaient disparu avec Moshe, si le travail avait cessĂ© avec lui, nous ne serions pas ici aujourd’hui.
Si la Torah n’existait que dans la vie d’une seule personne, elle ne serait pas Ă©ternelle!

Dans les derniers instants de son existence, Dieu dit Ă  Moshe de se concentrer sur la passation de ses pouvoirs Ă  Yeoshua. (DeutĂ©ronome 31:14) Il dut accepter de ne pouvoir entrer en terre d’IsraĂ«l de son vivant. On ne lui laissait, par ailleurs, aucune chance de refuser. Il apprit que la transmission du projet Divin, au tiers successeur, Ă©tait le meilleur moyen de le prĂ©server.
Notre travail n’est pas de terminer l’ouvrage, mais d’ĂȘtre un maillon de la chaĂźne.
C’est une leçon difficile à accepter au quotidien!
Uniquement face Ă  la mort et, donc, face Ă  la perte du temps, des opportunitĂ©s et de nos rĂȘves, nous le comprenons.
Pourtant, cette mĂȘme prise de conscience si pĂ©nible est source d’espoir.
Il n’y a plus que l’ici et le maintenant.

Nous sommes tout ou partie de la grande cordĂ©e humaine, nous n’avons pas Ă  nous soucier de tout finir car nous aurons l’aide des gĂ©nĂ©rations futures. Cette vĂ©ritĂ© est humiliante et libĂ©ratrice mais cela nous permet de lĂącher prise.
En fin de vie, une personne se sent parfois attachĂ©e Ă  ce monde, inquiĂšte pour ses enfants ou son conjoint, incapable de lĂącher prise sur les choses qu’elle veut terminer ou s’occuper. Peut-ĂȘtre un proche ne quittera pas le chevet et sera celui qui pratiquera les soins palliatifs intimes de peur que personne d’autre ne prenne soin de l’ĂȘtre cher. Dans ces conditions, c’est un prĂ©sent sage et compatissant pour le patient et pour ses proches que de donner la permission de lĂącher prise et d’accepter de l’aide.

Dans votre propre vie en ce moment, rĂ©flĂ©chissez et lĂąchez prise, acceptez que votre ouvrage inachevĂ© soit poursuivi par d’autres. Qu’est-ce que cela vous ferait de dire (Ă  vous-mĂȘme en fin de vie ou Ă  un proche en fin de vie) :

«Vous n’avez pas abandonnĂ© le travail. Vous l’avez fait Ă  chaque instant de votre vie. Vous avez pris soin de tout le monde et ĂȘtes aimĂ©. Mais vous n’avez nul besoin de l’achever, vous n’avez nul besoin de tout faire vous-mĂȘme. Votre patrimoine se poursuivra; votre histoire se continuera, je vous autorise Ă  ‘lever le pied’.»

Bien que dans la mort nous perdions la vie dans ce monde, nous gagnons tout du moins le don d’un HĂ©ritage, d’une Histoire qui est bien plus grande que nous-mĂȘmes. En transmettant son autoritĂ©, Moshe s’est assurĂ© que nous puissions faire de mĂȘme.
L’accompagnement des mourants semble ĂȘtre un moment Ă  cĂŽtĂ© duquel il ne faudrait pas passer car il permettrait d’accoucher de soi-mĂȘme, de se mettre au monde. Accompagner les autres, soutenir le dĂ©sir de vivre – ou de mourir – de l’autre, c’est aider l’autre Ă  accoucher de lui-mĂȘme mais aussi apprendre de soi-mĂȘme.

La mort fait partie de la vie et la vie ne serait pas ce qu’elle est sans la mort.
La mort tonalise le “sĂ©rieux” de l’existence, et les soins de fin de vie permettent d’accepter et d’accueillir cette vulnĂ©rabilitĂ© fondamentale du vivant. Les soins palliatifs ne sont pas seulement le lieu d’un combat contre la mort mais la manifestation d’une attention envers le malade qui n’est pas seulement un mourant mais plutĂŽt, comme le dit Paul Ricoeur, un “vivant jusqu’à la mort”. Ils peuvent ainsi se retrouver du cĂŽtĂ© de la vitalitĂ© et non pas du morbide.

Et comment ne pas terminer ce sujet non exhaustif, sans cet énoncé plein de densité chez Vladimir Jankélévitch:
« Pour que l’au-delĂ  ait un sens, il faut faire honneur Ă  la plĂ©nitude, Ă  l’intensitĂ©, Ă  la saveur incomparable de l’en-deçà. » (La mort)

SHANA TOVA YEDIDIM


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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