La réaction n’a pas tardé. Quelques heures seulement après que le président américain Donald Trump a publié une série de messages enthousiastes sur la « nouvelle réalité syrienne » et le potentiel d’un rapprochement Syrie–Israël, l’expert de renom Tsvi Yehezkeli, spécialiste du monde arabe sur la chaîne i24NEWS, a lancé un avertissement très ferme : selon lui, le président américain « n’est pas connecté à la réalité du Moyen-Orient » et « perd son discernement » à cause de sa proximité politique avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan. Une critique rare, directe, qui vient d’une des voix les plus écoutées en Israël lorsqu’il s’agit de naviguer dans les méandres de la politique arabe.
Le point de départ de cette controverse est la déclaration inattendue publiée par Donald Trump sur Truth Social, où il affirmait que la situation en Syrie se dirigeait vers une « prospérité réelle », tout en saluant les efforts du nouveau président syrien Ahmed al-Shar’a pour stabiliser le pays et en appelant ouvertement Israël à maintenir un « dialogue fort et authentique » avec Damas. Le message du président américain précise même que la levée partielle des sanctions américaines — mesure hautement contestée — aurait permis au régime syrien de reprendre son souffle économique. Une posture qui, immédiatement, a fait tiquer à Jérusalem.
Dans ce contexte, Tsvi Yehezkeli n’a pas mâché ses mots. « Trump n’est pas connecté à la réalité du Moyen-Orient, surtout sur le dossier syrien », écrit-il dans un message sur X. Il met en cause l’influence de la relation privilégiée entre Trump et Erdoğan, un facteur qui, selon lui, fausse la lecture américaine des dynamiques syriennes. Pour le journaliste, la Turquie exerce un contrôle de facto sur de larges portions du nord syrien, tandis que le régime central de Damas reste extrêmement fracturé, tribalement et confessionnellement. Imaginer une Syrie « stable, prospère et amiable » relèverait donc de la naïveté diplomatique, voire du déni stratégique.
Yehezkeli rappelle un point essentiel souvent passé sous silence dans les discours occidentaux : les massacres internes. « La Syrie est un pays qui a massacré ses minorités. Le massacre des Alaouites a eu lieu récemment, celui des Druzes se poursuit dans le silence médiatique le plus total », écrit-il. Dans cette vision, parler de rapprochement israélo-syrien dans un contexte pareil est non seulement irréaliste mais dangereux, car cela reviendrait à blanchir un régime qui n’a jamais renoncé à son hostilité envers Israël et qui reste profondément dépendant de Téhéran.
Pour l’expert israélien, la priorité est ailleurs : préserver les zones tampons, ne jamais renoncer au contrôle stratégique du mont Hermon, et renforcer les liens de protection envers les communautés druzes, toujours prises en étau entre le régime syrien, l’État islamique résiduel et les bandes armées sous influence iranienne. « Un matin, nous pourrions nous réveiller avec un fait accompli : une frontière syrienne devenue une frontière turque », prévient-il, soulignant la consolidation militaire d’Ankara au nord.
Les déclarations de Trump interviennent pourtant dans un contexte où les États-Unis et Israël viennent de conduire une opération d’envergure contre des infrastructures de l’État islamique dans le sud syrien, selon les informations du CENTCOM américain, confirmées par Reuters. Quinze sites ont été détruits, plus de 130 roquettes, mines antichars et munitions de fabrication iranienne neutralisées. Officiellement, l’opération visait à « réduire significativement la capacité opérationnelle de Daech » dans la région de Rif Damas. Officieusement, elle rappelle que la Syrie reste un terrain instable, militarisé, fragmenté, très loin de l’image de pays « en reconstruction florissante » que veut projeter le président américain.
Les services israéliens, de leur côté, constatent une augmentation du trafic de munitions et de technologies iraniennes à travers la Syrie, via Boukamal, Deir ez-Zor et la zone d’al-Mayadeen. Ce sont ces flux que Tsvi Yehezkeli considère comme un axe fondamental de la menace stratégique, bien plus que les messages diplomatiques. Ainsi, voir Washington s’orienter vers une normalisation partielle avec Damas au moment où l’Iran tente de renforcer ses positions serait un très mauvais signal pour Jérusalem.
Dans cette affaire, plusieurs responsables politiques israéliens — sans le dire officiellement — partagent l’inquiétude exprimée par Yehezkeli. La doctrine sécuritaire israélienne est claire depuis des années : tant que la Syrie reste un couloir stratégique iranien, toute reconnaissance ou accalmie formelle profiterait d’abord à Téhéran. L’idée d’un « accord de long terme » entre Israël et la Syrie, évoquée par Trump, apparaît donc comme une rupture brutale avec les évaluations du Mossad, du Shin Bet et du renseignement militaire.
Pour beaucoup, les propos du président américain semblent davantage dictés par sa logique de deals régionaux — la même qui avait conduit aux accords d’Abraham — mais appliquée cette fois à un terrain où les équilibres sont infiniment plus complexes. La Syrie n’est pas les Émirats, encore moins le Bahreïn. Elle demeure un pays morcelé, sous influence étrangère massive, où la Turquie et l’Iran se partagent les restes du pouvoir central. Imaginer Israël dialoguer dans ces conditions est, pour les experts, au mieux utopique, au pire périlleux.
En exprimant son avertissement, Tsvi Yehezkeli ne vise pas seulement Trump : il rappelle au public israélien que la sécurité du nord repose sur des faits, non sur des déclarations. La dissuasion israélienne, la protection des Druzes, le contrôle du plateau du Golan et la surveillance constante des mouvements iraniens restent les piliers de la stabilité régionale. Tout assouplissement sur ces points serait interprété par l’Iran et ses proxys comme un signe de faiblesse.
L’échange entre Trump et Netanyahou, annoncé par le bureau du Premier ministre, n’a pas encore livré ses détails. Mais à Jérusalem, les analystes s’attendent à ce que le gouvernement israélien tempère poliment l’enthousiasme américain. Le réalisme géopolitique impose de rappeler que la Syrie de 2025 n’a rien d’un partenaire potentiel. Et face à un axe irano-turc très actif, les illusions diplomatiques peuvent coûter cher.
Sources réelles :
– Dépêches Reuters sur l’opération CENTCOM en Syrie (nov.-déc. 2025)
– Truth Social : déclarations officielles de Donald Trump sur la Syrie (01.12.2025)
– i24NEWS : analyse de Tsvi Yehezkeli, dossier monde arabe
– Al-Arabiya & Al-Jazeera Arabic : chroniques sur la situation syrienne
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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