Loi sur le service militaire : Netanyahou annule sa déclaration à la dernière minute, Lapid accuse « Bibi a fui », Bennett dénonce un « Isra-bluff »

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou devait, pour la première fois depuis la publication du texte actualisé de la loi d’exemption de service pour les ultra-orthodoxes, s’adresser directement au public ce mardi soir à 20h10. Son bureau avait annoncé une « déclaration spéciale » sur la loi de conscription qui secoue Israël et fragilise sa coalition. Mais à 20h03, coup de théâtre : le bureau du Premier ministre informe que la déclaration est annulée et « repoussée pour des raisons d’agenda ».

Ce revirement a immédiatement déclenché une salve d’attaques politiques. Le chef de l’opposition Yair Lapid a résumé la scène en deux mots : « Bibi a fui ». Selon lui, Netanyahou a compris qu’il serait incapable de défendre publiquement ce qu’il appelle « la loi de l’évitement ». Lapid affirme que le texte n’est ni « historique » ni sérieux : il assure qu’« il ne fera pas se lever 50 % des ultra-orthodoxes, ni même 5 % ». Il accuse le gouvernement de présenter un faux compromis alors que le projet de loi est, selon lui, construit pour échouer : pas de quotas réels, pas de sanctions, aucune véritable possibilité d’application, et surtout un contrôle politique entre les mains de dirigeants ultra-orthodoxes comme Aryeh Deri et Yitzhak Goldknopf, plutôt que de Tsahal.

Lapid va plus loin et parle de « trahison des combattants ». Il rappelle le prix humain des deux dernières années de guerre – plus de 920 soldats tués et des dizaines de milliers de blessés physiques et psychiques – et accuse Netanyahou d’avoir choisi « les dispensés » contre « ceux qui portent l’uniforme », dans le seul but de rouvrir le robinet des milliards vers les yeshivot. Selon lui, la loi viserait avant tout à garantir la poursuite du financement public d’un large public qui ne se présente pas au bureau de recrutement, pour un coût de l’ordre de dizaines de milliards de shekels par an.

L’ancien Premier ministre Naftali Bennett, dans une déclaration séparée, a lui aussi visé le cœur du débat : l’effort de guerre. Il rappelle que, selon les estimations militaires, il manque actuellement environ 20 000 soldats pour assurer correctement la défense de toutes les frontières de l’État. Pour Bennett, il n’existe que deux options : soit intégrer progressivement les jeunes ultra-orthodoxes à l’effort de défense, soit condamner les réservistes à environ 120 jours de service par an de façon structurelle, au prix de leurs familles, de leur santé et de leur avenir professionnel.

Bennett affirme qu’environ 100 000 jeunes issus du système haredi pourraient être formés en cinq mois pour atteindre le niveau opérationnel requis, à condition que le gouvernement donne à Tsahal un mandat clair et un appui politique solide. Or, selon lui, la loi que la coalition pousse actuellement fait exactement l’inverse : elle verrouille le statu quo et neutralise toute chance d’intégration significative. Il pointe notamment l’amnistie immédiate offerte à tous les déserteurs et réfractaires actuels, ainsi que la possibilité pour un jeune ultra-orthodoxe de repousser son service jusqu’à 26 ans pour bénéficier ensuite d’un « exemption à vie » – un « signal clair » pour que tous choisissent cette voie.

Bennett qualifie la proposition de « loi d’Isra-bluff » : un texte truffé de formulations juridiques et de mécanismes pensés, selon lui, pour produire l’image d’un partage du fardeau sans en changer la réalité. Il rappelle que Tsahal s’oppose au texte, que l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant l’avait rejeté – avant d’être évincé – et que le président de la commission de la Défense, Yuli Edelstein, a lui aussi payé politiquement son refus d’avaliser cette version.

Dans le camp de l’ancienne coalition d’union nationale, Benny Gantz et Gadi Eisenkot rejettent également ce qu’ils appellent « la loi de l’évitement ». Gantz tient à corriger ce qu’il décrit comme une « manipulation » : il nie l’existence d’une quelconque « loi Gantz » prévoyant des quotas étalés sur vingt-cinq ans, rappelant qu’il s’agissait d’une loi transitoire après le Covid, centrée sur la baisse de l’âge de dispense et l’intégration au marché du travail, en attendant un nouveau schéma de service plus global qui n’a jamais vu le jour après la chute du gouvernement. Aujourd’hui, insiste-t-il, Tsahal dit clairement avoir besoin d’environ 12 000 combattants et soutiens nouveaux, et 90 députés « savent parfaitement ce qu’il faudrait faire », mais Netanyahou choisit, selon lui, de « travailler pour les partis ultra-orthodoxes » afin de rester quelques mois de plus au pouvoir.

Pendant ce temps, au sein même de la coalition, le front de la contestation s’élargit. Du côté du Likoud, des députés comme Yuli Edelstein, Dan Illouz, Sharren Haskel, Moshe Saada ou Eli Rebibbo émettent de fortes réserves. Dans le camp sioniste religieux, plusieurs élus, dont Moshe Solomon, Michal Waldiger et surtout le ministre de l’Aliyah et de l’Intégration Ofir Sofer, annoncent clairement qu’ils pourraient voter contre, même au prix d’une révocation.

En toile de fond, le texte lui-même cristallise la colère. Il mêle service militaire et service civil, inclut la possibilité d’effectuer ce dernier dans des unités relevant directement du bureau du Premier ministre, et définit le « public haredi » comme ceux qui ont étudié au moins deux ans dans le système ultra-orthodoxe entre 14 et 18 ans. Les objectifs chiffrés de recrutement progressif sont détaillés sur plusieurs années, avec la promesse d’atteindre, à terme, 50 % de chaque cohorte de diplômés du système haredi – mais en comptant aussi le service civil, jusqu’à 10 % des objectifs annuels. Pour les opposants, ce montage permet surtout de gonfler les chiffres sans assurer de véritable intégration dans les unités combattantes.

L’annulation, à la dernière seconde, de la déclaration de Netanyahou est ainsi devenue un symbole : pour Lapid, Bennett, Gantz et une partie croissante de la droite, le Premier ministre sait qu’il n’a pas de réponse convaincante à donner au public ni aux familles endeuillées. La bataille autour de la loi sur la conscription ne porte plus seulement sur des paragraphes juridiques : elle touche le cœur du contrat social israélien, la définition du partage du fardeau et la question brûlante de savoir qui, exactement, est prêt à risquer sa vie pour défendre l’État.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
© 2025 – Tous droits réservés