Eli Zeira, chef de l’Aman pendant la guerre du Yom Kippour, est dĂ©cĂ©dĂ© Ă  97 ans.

Eli Zeira, ancien chef du renseignement militaire israĂ©lien, est dĂ©cĂ©dĂ© vendredi Ă  l’ñge de 97 ans, laissant derriĂšre lui une figure controversĂ©e mais incontournable de l’histoire sĂ©curitaire d’IsraĂ«l. Servant comme commandant de l’Aman durant la guerre du Yom Kippour en 1973, Zeira a jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans les Ă©valuations stratĂ©giques qui ont prĂ©cĂ©dĂ© l’un des conflits les plus traumatiques pour l’État hĂ©breu. Son dĂ©cĂšs intervient Ă  un moment oĂč la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne revisite son rapport aux Ă©checs passĂ©s et aux responsabilitĂ©s des dirigeants militaires, au regard des dĂ©fis sĂ©curitaires actuels.

Le nom d’Eli Zeira restera liĂ©, pour le public israĂ©lien comme pour les historiens, au concept qui a marquĂ© l’état d’esprit du renseignement Ă  la veille de la guerre : la « konzeptzia », cette analyse selon laquelle l’Égypte n’engagerait pas une confrontation militaire majeure avec IsraĂ«l tant que certaines conditions stratĂ©giques n’étaient pas rĂ©unies. Croyance qui s’est rĂ©vĂ©lĂ©e fatale. Lorsque l’armĂ©e Ă©gyptienne et les forces syriennes ont lancĂ© une offensive surprise le 6 octobre 1973, jour de Yom Kippour, l’armĂ©e israĂ©lienne s’est retrouvĂ©e prise au dĂ©pourvu. Zeira, Ă  la tĂȘte de l’Aman, fut considĂ©rĂ© comme l’un des principaux responsables des Ă©valuations erronĂ©es qui ont permis Ă  l’ennemi d’obtenir un avantage initial significatif.

MalgrĂ© les critiques, Zeira s’est toujours dĂ©fendu en affirmant que les signaux d’alerte disponibles Ă  l’époque Ă©taient contradictoires ou insuffisants. Il affirmait que l’ampleur de l’attaque n’était pas prĂ©visible dans les paramĂštres d’analyse de l’époque. Il a Ă©galement accusĂ© certains responsables politiques d’avoir ignorĂ© les mises en garde partielles du renseignement, transformant un problĂšme d’apprĂ©ciation militaire en un Ă©chec de leadership national. Ses positions ont alimentĂ© des dĂ©bats intenses au sein des milieux militaires et acadĂ©miques, certains continuant Ă  considĂ©rer que Zeira a Ă©tĂ© injustement dĂ©signĂ© comme bouc Ă©missaire, tandis que d’autres dĂ©fendent que l’erreur d’analyse fut profonde, structurelle et Ă©vitable.

AprĂšs la guerre, la commission Agranat, créée pour enquĂȘter sur les Ă©checs du renseignement et de la prĂ©paration militaire, recommanda de ne plus confier Ă  Zeira de responsabilitĂ©s opĂ©rationnelles. Il quitta ses fonctions et se retira progressivement de la vie publique, mĂȘme s’il continua Ă  influencer les dĂ©bats stratĂ©giques israĂ©liens par des articles, des interviews et des analyses ponctuelles. MalgrĂ© le poids historique de la guerre du Yom Kippour sur sa carriĂšre, Zeira restera une voix attentive et souvent critique, observant les Ă©volutions sĂ©curitaires du pays et rappelant, parfois avec sĂ©vĂ©ritĂ©, la nĂ©cessitĂ© d’un renseignement indĂ©pendant, sceptique et rigoureux.

Eli Zeira, chef de l’Aman pendant la guerre du Yom Kippour, est dĂ©cĂ©dĂ© Ă  97 ans. - Infos-Israel.News

Au fil des dĂ©cennies, l’image publique d’Eli Zeira a oscillĂ© entre ombre et lumiĂšre. Certains lui attribuent une part importante de la responsabilitĂ© de l’échec de 1973, considĂ©rant que l’Aman, sous sa direction, s’était enfermĂ©e dans une logique analytique trop rigide, incapable de réévaluer la menace Ă©mergente. D’autres, notamment d’anciens officiers du renseignement, ont rappelĂ© que les dĂ©fis de l’époque Ă©taient complexes, que les informations transmises par les sources humaines Ă©taient ambiguĂ«s, et que l’appareil politique n’avait pas toujours prĂȘtĂ© attention aux avertissements transmis. Cette tension entre responsabilitĂ© personnelle et responsabilitĂ© systĂ©mique reste au cƓur de la perception de Zeira.

Son dĂ©cĂšs survient alors que l’État d’IsraĂ«l est Ă  nouveau confrontĂ© Ă  une rĂ©flexion profonde sur ses mĂ©canismes d’évaluation stratĂ©gique, ses vulnĂ©rabilitĂ©s et la façon dont le renseignement doit alerter la classe politique. Les parallĂšles dressĂ©s par certains commentateurs entre la surprise du 6 octobre 1973 et les dĂ©faillances rĂ©vĂ©lĂ©es lors des Ă©vĂ©nements du 7 octobre 2023 ont ravivĂ© des dĂ©bats anciens : jusqu’oĂč un responsable du renseignement doit-il aller pour imposer un changement d’analyse ? Comment Ă©viter qu’une « doctrine » ne se transforme en aveuglement ? Quels garde-fous doivent ĂȘtre mis en place pour empĂȘcher qu’un consensus erronĂ© n’entraĂźne un pays entier dans une catastrophe ?

Eli Zeira, chef de l’Aman pendant la guerre du Yom Kippour, est dĂ©cĂ©dĂ© Ă  97 ans. - Infos-Israel.News

La vie de Zeira a aussi Ă©tĂ© marquĂ©e par un Ă©pisode supplĂ©mentaire qui a suscitĂ© l’attention du public dans les annĂ©es 1990 : l’affaire Ashraf Marwan. Ce haut responsable Ă©gyptien, prĂ©sentĂ© comme une source du renseignement israĂ©lien au moment de la guerre du Kippour, avait transmis des informations cruciales Ă  IsraĂ«l, mais son rĂŽle exact reste sujet Ă  controverse. Zeira fut accusĂ© d’avoir illĂ©galement divulguĂ© l’identitĂ© de Marwan, mettant potentiellement sa vie en danger. La Cour suprĂȘme condamna Zeira pour violation du secret, renforçant ainsi le caractĂšre polĂ©mique de sa figure. MalgrĂ© cette condamnation, Zeira continua Ă  affirmer que certaines vĂ©ritĂ©s concernant la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la guerre n’avaient jamais Ă©tĂ© entiĂšrement rĂ©vĂ©lĂ©es.

Le dĂ©cĂšs d’Eli Zeira clĂŽt un chapitre de l’histoire militaire israĂ©lienne, mais il laisse derriĂšre lui un hĂ©ritage complexe. Il symbolise Ă  la fois les dĂ©fis du renseignement dans une rĂ©gion volatile, les dilemmes de la prise de dĂ©cision stratĂ©gique et le poids des erreurs qui peuvent marquer une nation entiĂšre. Il incarne Ă©galement une Ă©poque oĂč IsraĂ«l, encore jeune, confrontĂ© Ă  un environnement hostile, construisait sa doctrine sĂ©curitaire Ă  travers des Ă©preuves dramatiques.

Dans une sociĂ©tĂ© israĂ©lienne marquĂ©e par les dĂ©bats sur la responsabilitĂ© militaire et politique, la disparition de Zeira rĂ©ouvre, mĂȘme discrĂštement, la question de l’équilibre entre la critique nĂ©cessaire et la loyautĂ© envers l’institution. Elle rappelle que le renseignement ne peut ĂȘtre efficace que s’il ose remettre en question les croyances dominantes, qu’il rĂ©siste aux pressions politiques, et qu’il prĂ©serve cette capacitĂ© rare et vitale : penser contre la ligne, mĂȘme au risque d’ĂȘtre incompris.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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