ET SI CELA CHANGEAIT – Par Rony Akrich

Le 11 septembre 2001, l’Occident dĂ©couvrait qu’il Ă©tait vulnĂ©rable aux calamitĂ©s qu’il pensait ne pouvoir se produire que dans des contrĂ©es Ă©loignĂ©es et primitives.
La crise financiÚre de 2008 nous informa que nous pouvions également souffrir, comme dans un éternel retour, des drames du passé.
L’effondrement Ă©conomique de la Grande DĂ©pression en 1929, la pandĂ©mie de grippe espagnole en 1918-19, jamais ne disparurent vĂ©ritablement, elles tĂ©moignent d’un assoupissement des maux mais nullement de leur disparition.
Voici donc le spectre de l’HumanitĂ© prĂ©sent.

NĂ©cessaire perte d’innocence et d’indulgence, il s’agit d’une nouvelle façon d’ĂȘtre dans ce monde que nous devons aspirer Ă  changer, un autre savoir-faire pour nous sapiens. Nous savons dĂ©sormais que rien ne peut ĂȘtre innocent : toucher des objets, caresser l’autre, ĂȘtre dans l’espace public et respirer l’air d’un lieu confinĂ©.
Tout peut ĂȘtre Ă  haut risque.

La rapiditĂ© avec laquelle un tel ressenti traumatique disparaitra sera diffĂ©rente pour tout un chacun, mais, en vĂ©ritĂ©, il ne pourra disparaĂźtre totalement pour quiconque aura vĂ©cu et traversĂ© ces Ă©vĂšnements. Un mouvement de recul devant une main tendue pourrait devenir une seconde nature tout comme hĂ©siter Ă  laisser notre main toucher notre visage, sans arrĂȘt vouloir se laver les mains.
Le monde a longtemps assimilĂ© le patriotisme aux forces armĂ©es. Mais vous ne pouvez pas tirer sur un virus. Ceux qui sont en premiĂšre ligne contre les coronavirus ne sont pas des conscrits, des mercenaires ou des enrĂŽlĂ©s ; ce sont nos mĂ©decins, nos infirmiers et nos infirmiĂšres, nos pharmaciens et tous le personnel d’entretien technique et sanitaire.
Comme Li Wenliang et les mĂ©decins de Wuhan, beaucoup se sont soudainement retrouvĂ©s aux prises avec des tĂąches inconcevables, aggravĂ©es par un risque accru de contamination et de mort auxquelles ils n’ont jamais Ă©tĂ© prĂ©parĂ©s.
En fin de compte, nous reconnaĂźtrons peut-ĂȘtre leur sacrifice comme un vĂ©ritable patriotisme, saluant nos mĂ©decins et nos infirmiĂšres, faisant la gĂ©nuflexion et disant : «Merci pour votre service», comme nous le faisons maintenant pour les anciens combattants.

Ces personnes qui sacrifient leur santĂ© et leur vie pour la nĂŽtre sont une preuve ineffable du meilleur prĂ©sent chez l’homme, alors apprenons !
Peut-ĂȘtre commencerons-nous enfin Ă  comprendre le sens du vĂ©ritable patriotisme, davantage celui cultivant la santĂ© et la vie de nos peuples, plutĂŽt que de se faire la guerre entre nous, belligĂ©rance inutile et vide de sens, porteuse seulement de drames et de tragĂ©dies. Peut-ĂȘtre que la dĂ©militarisation de nos patriotismes dĂ©biles et l’amour de notre HumanitĂ© seront l’un des avantages au sortir de ce terrible chaos.

La pandĂ©mie est entrain de provoquer un choc extraordinaire pour notre systĂšme. Il aura le potentiel de sortir l’Occident du schĂ©ma de plus de 50 ans d’augmentation de la polarisation politique, Ă©conomique, militaire et culturelle dans laquelle nous sommes pris au piĂšge. Il va nous aider Ă  changer de cap vers une plus grande solidaritĂ© nationale et un entendement international au nom de ces peuples composĂ©s d’hommes et de femmes emplis de rĂȘves et de devenir.
Cela peut sembler idéaliste, mais il y a deux raisons de penser que cela peut se produire.
La premiĂšre est le scĂ©nario de «l’ennemi commun».

Les gens commencent Ă  regarder au-delĂ  de leurs diffĂ©rences lorsqu’ils sont confrontĂ©s Ă  une menace extĂ©rieure commune. COVID-19 nous prĂ©sente un ennemi redoutable qui ne fera pas de distinction entre les rouges et les bleus, et pourra nous fournir une Ă©nergie de fusion et une singularitĂ© de but pour nous aider Ă  rĂ©initialiser et Ă  nous regrouper. Pendant le Blitz, la campagne de bombardement nazie de 56 jours contre la Grande-Bretagne, le cabinet de Winston Churchill fut Ă©tonnĂ© et encouragĂ© de voir l’ascendant de la bontĂ© humaine – altruisme, compassion et gĂ©nĂ©rositĂ© d’esprit et d’action.

La deuxiĂšme raison est le scĂ©nario de «l’onde de choc politique».
Des Ă©tudes ont montrĂ© que les modĂšles relationnels solides et durables deviennent, souvent, plus susceptibles de changer aprĂšs qu’un certain type de choc majeur les dĂ©stabilise. Cela ne se produit pas nĂ©cessairement tout de suite, mais une Ă©tude de 850 conflits interĂ©tatiques persistants survenus entre 1816 et 1992 a rĂ©vĂ©lĂ© que plus de 75% d’entre eux se sont terminĂ©s dans les 10 ans suivant un choc dĂ©stabilisateur majeur. Les chocs sociĂ©taux peuvent tout bouleverser de diffĂ©rentes maniĂšres, ce qui peut amĂ©liorer ou empirer les choses. Mais compte tenu de nos niveaux de tension actuels, ce scĂ©nario suggĂšre que le moment est venu de commencer Ă  promouvoir des formes plus constructives dans notre discours culturel et politique.
Le temps du changement mûrit clairement.

L’Occident est devenu, depuis plusieurs annĂ©es, un modĂšle fondamentalement peu rassurant. C’est le luxe que nous offrent la paix, la richesse et les niveaux Ă©levĂ©s de technologie grand public. Nous n’avions pas Ă  penser aux choses qui jadis focalisaient nos esprits – la guerre nuclĂ©aire, les pĂ©nuries de pĂ©trole, le chĂŽmage Ă©levĂ©, la montĂ©e en flĂšche des taux d’intĂ©rĂȘt. Le terrorisme est redevenu une sorte de menace fictive pour laquelle nous envoyons des volontaires dans nos forces armĂ©es aux coins les plus reculĂ©s du dĂ©sert en tant qu’avant-garde de la patrie.
La crise du COVID-19 pourrait changer cela de deux maniĂšres.

PremiĂšrement, cela a dĂ©jĂ  contraint les gens Ă  accepter que les experts sont une denrĂ©e importante. Il Ă©tait facile de se moquer des savants et des sages jusqu’à l’arrivĂ©e d’une pandĂ©mie. Maintenant les gens veulent entendre des professionnels de la santĂ©, des philosophes de l’existence.

DeuxiĂšmement, cela peut, on l’espĂšre, ramener le monde Ă  un nouveau sĂ©rieux, ou du moins le ramener Ă  l’idĂ©e que la gouvernance des peuples doit devenir l’affaire de gens raisonnables et rĂ©flĂ©chis. L’échec colossal des administrations amĂ©ricaines et europĂ©ennes, Ă  la fois pour protĂ©ger les peuples mĂ©dicalement et ralentir l’implosion de l’économie provoquĂ©e par une pandĂ©mie choque, et secoue suffisamment le public, pour qu’il exige des gouvernements autre chose que leur satisfaction passionnelle et narcissique.
La pandĂ©mie de coronavirus marque la fin de notre romance avec la sociĂ©tĂ© de marchĂ© et l’hyper-individualisme.
Nous pourrions nous tourner vers l’autoritarisme.

Imaginez nos pouvoirs essayant de suspendre les élections !
ConsidĂ©rez la perspective d’une rĂ©pression militaire
 le scĂ©nario dystopique est rĂ©el ! Mais je crois que nous irons vers un tout autre ailleurs.
Nous voyons maintenant les modĂšles d’organisation sociale, fondĂ©s sur la violente et inhumaine Ă©conomie de marchĂ©, Ă©chouer de maniĂšre effrayante. La politique financiĂšre intĂ©ressĂ©e, aux seuls bĂ©nĂ©fices exacerbĂ©s, rend cette crise tellement plus dangereuse qu’elle ne devait l’ĂȘtre.

À la fin, nous rĂ©orienterons notre politique et effectuerons de nouveaux investissements substantiels dans les biens pour tous – pour la santĂ©, en particulier – et les services publics.
Je pense que nous manifesterons un intĂ©rĂȘt plus probant pour le bien commun.

DorĂ©navant, nous serons mieux en mesure de voir, et d’apprĂ©cier, comment nos destins sont intimement liĂ©s. Le shawarma bon marchĂ© que je mange dans un restaurant qui refuse les congĂ©s de maladie payĂ©s Ă  ses caissiers et au personnel de cuisine me rend plus vulnĂ©rable Ă  la maladie. Tout comme ceux qui refusent de rester Ă  la maison durant la pandĂ©mie parce que certaines Ă©coles, religieusement fanatiques, n’ont point jugĂ© nĂ©cessaire de leur enseigner la science ou la pensĂ©e critique. Tout autant, et non des moindres, un certain nombre d’égoĂŻstes sĂ©culiers, bouffis de moi individuel, courent, jouent et se promĂšnent, envers et contre toutes les rĂšgles du MinistĂšre de la santĂ©.

L’économie, et l’ordre social qu’elle aide Ă  soutenir – s’effondrera si les gouvernements ne garantissent pas le revenu des millions de travailleurs qui perdront leur emploi en cas de rĂ©cession, ou de dĂ©pression majeure. Les jeunes adultes ne rĂ©ussiront pas Ă  se lancer si les gouvernements ne contribuent pas Ă  rĂ©duire, ou Ă  annuler leur dette d’études.
La pandĂ©mie de coronavirus va causer d’immenses douleurs et souffrances.

Mais cela nous obligera Ă  reconsidĂ©rer qui nous sommes et ce que nous apprĂ©cions, et, Ă  long terme, cela pourrait nous aider Ă  redĂ©couvrir la meilleure version de nous-mĂȘmes. Nous sommes le peuple de la sortie d’Egypte, celui du printemps de la libertĂ©, nous aimons Ă  le dire, il faut mettre l’accent sur le triomphe de l’espoir sur nos craintes et la victoire de la vie sur la mort.
Mais comment ce peuple de ‘Pessah’ observera-t-il cette soirĂ©e si mĂ©morable, cette journĂ©e si sacrĂ©e, s’il ne peut se rĂ©jouir ensemble ?
Les flĂ©aux conduisent au changement. En partie parce que nos dirigeants nous font dĂ©faut, l’humaine HumanitĂ© se mobilise pour crĂ©er des organisations, des rĂ©seaux et un savoir-faire qui vont changer notre place dans la sociĂ©tĂ© et qui engendreront un hĂ©ritage durable Ă  partir d’aujourd’hui.

L’épidĂ©mie rĂ©vĂšle, au quotidien, les failles prĂ©caires dans nos systĂšmes de soins de santĂ©.
Elle nous fait prendre conscience de la nĂ©cessitĂ© de rĂ©ajuster, de revaloriser l’ordre social et l’identitĂ© morale.
Des révélations qui conduiront, je le souhaite, vers des réformes historiques et prometteuses suite à cette pandémie de corona virus.
Les peuples devront se soulever et faire entendre leur voix, refuser catĂ©goriquement d’ĂȘtre menĂ©s plus longtemps aux abattoirs du consumĂ©risme, dĂ©crĂ©ter que le marchĂ© ne fera plus jamais la loi.

Il faudra passer sur nos corps survivants si l’idĂ©e saugrenue de revenir aux modĂšles sociĂ©taux, d’avant le massacre viral, venait Ă  pointer de nouveau son nez empli de croutes et de morve.
Les peuples voudront tenter de trouver de nouvelles façons de se connecter et de se soutenir mutuellement dans l’adversitĂ©. Ils exigeront, certainement, la mise Ă  l’écart des inconscients blonds, des technocrates bcbg, des populistes nationalistes et d’une vieille garde communiste mais non moins capitaliste, la mise en place de vĂ©ritables dĂ©mocraties reprĂ©sentatives et directes.
Nous allons prendre conscience de l’interdĂ©pendance de nos singularitĂ©s, de la communautĂ© plurielle de nos intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux tout en affirmant des identitĂ©s diffĂ©rentielles.

Je ne suis ni devin ni prophĂšte mais mon vƓu le plus pieux sera et demeurera celui-ci. Il deviendra possible lorsque tous ensemble nous y croirons et nous investirons en ce sens. Alors, peut-ĂȘtre, verrons-nous poindre Ă  l’horizon ces lendemains qui nous promettaient de chanter un jour.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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