La Torah manifeste l’absolu, le sentiment de l’impératif et la félicité, alors que la joie n’est par principe qu’une nécessité mentale dépourvue de tout sens éthique, et rien de plus qu’un espoir qui tient à se manifester.

Il faudrait nous interroger et savoir si la joie, ainsi que les autres concepts qui la côtoient, comme le plaisir ou la satisfaction, possèdent une valeur affranchie ou non.

Les joies de l’imprévu sont plus spontanées que les joies du désir assouvi, car elles ont la franchise et l’inspiration du moment.

Les stoïciens assuraient que l’indispensable était d’achever ses obligations et non de quérir le plaisir ou le bonheur. Tandis que les philosophes religieux traditionnels garantissaient que le culte céleste n’avait de signifiant que lorsqu’il se produisait dans la difficulté et dans le tourment, et qu’il resterait honteusement méprisé s’il se joignait à un plaisir intérieur lui ôtant, d’une tangible façon, sa sainte propriété. Ces propos ont incontestablement le pouvoir de nous faire réfléchir, mais ce n’est certainement pas là la leçon que nous méritons de tirer du verbe divin.

Le plaisir et la joie sont dissemblables; il est toutes sortes de plaisirs couramment vécus dans le répertoire de la frivolité passive sans aucune joie authentique. On reconnaît un certain plaisir à pouffer devant les bouffonneries débiles du grand écran, il reste donc possible d’éprouver un véritable plaisir. Mais la plupart du temps, il n’y a pas de joie là-dedans, particulièrement quand on choit dans le sordide, le grivois, l’immonde, le pernicieux.

Par déduction la gaieté ne peut être associée à la joie, nommons gaieté, ce stimulus émotionnel qui se déverse dans une communauté humaine et se propage à tous les présents. La télévision se donne corps et âme pour produire ce stimulus émotionnel où la plupart d’entre nous auront alors l’illusion d’une joie de vivre, bien qu’il ne s’agisse, en vrai, que d’un plaisir artificiel, d’une provocation passionnelle uniquement.

Affirmons ici que la différenciation est là, autant la Joie est spontanée, parvient de l’intérieur, directement du cœur, autant la gaieté est un sentiment superficiel, fomentée par des procédés mensongers et lié à un climat favorable. La gaieté, en ce sens, parce qu’elle est fictive, retombe très vite et on revient vers l’état ordinaire… pas toujours très gai justement !

Dans la Torah, la Joie n’est pas envisagée comme une nécessité négligeable, ni une sorte de tolérance faite à la nature humaine: c’est à l’inverse, une notion sérieuse, sublime et originelle. A tel point qu’il existe même dans la tradition juive, dix locutions hébraïques pour formuler la joie.

Les linguistes allèguent d’ailleurs qu’il n’est aucune autre langue pourvue d’autant de mots pour expliquer le concept de joie. Nonobstant sa pénible histoire, le peuple juif est dans sa quintessence même, un peuple joyeux.

Certes, il est des injonctions dont le respect est singulièrement ardu, mais le « Maguid Michné »(Rabbi Vidal de Toulouse), commentateur du Rambam, indique que la joie occasionnée par une simple bonne action – cette joie de faire le bien et de réaliser le projet du Créateur – cache toutes les difficultés et métamorphose le dur effort de l’action en un monde de délices. L’observance des préceptes ne peut se faire dans la tristesse, mais dans une joie intérieure des plus profondes.

Certes, notre vision du monde n’est pas celle d’Epicure, qui considérait que la finalité de l’existence humaine était de jouir pour le seul plaisir.

Le verni du plaisir est trompeur et tout le monde s’y laisse prendre, jusqu’à ces parents qui croient que leur fils est « heureux », « parce qu’il fait la fête indéfiniment ! » L’homme qui tous les samedis soirs devient fiévreux en boîte de nuit, y découvre un certain plaisir, celui de supprimer ses contrariétés, de stopper un instant les supplices qu’il s’impose mentalement à longueur de journée. Il va immerger sa détresse et chercher à régresser dans son subconscient. Mais sans la connaissance, découvrira-t-il de la joie ? Non.

L’expérience de la libido débridée, sans amour, relâchera les tensions, admettra l’étourdissement, octroiera du plaisir. Mais de la joie ? Les « filles de joie » sont assurément très mal dénommées, cette formule contient une illusion, un préétabli selon lequel le plaisir et la joie resteraient toujours similaires, alors qu’il n’en n’est rien.

Toute prospection du plaisir dans les contours de la conscience est comme un divertissement qui permet d’échouer en-dessous du seuil de la conscience ordinaire. La tentative de se défaire de soi, la fuite compensatoire n’apporte pas de joie, elle ne fait que renforcer la souffrance.

Pour la Torah, l’objectif de notre existence sur terre est de faire le bien: nous ne poursuivons ni le plaisir, ni l’éclatade », mais le bon, bien et le beau!  »