« L’ARCHET DE NOÉ » –

 

Une erreur dans le titre ? Non ! Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une coquille
 bien que, nous le verrons plus loin, l’histoire soit indirectement reliĂ©e au nid et Ă  l’oiseau. « L’archet » est cet outil qui n’est rien en lui-mĂȘme, sans le violon, mais permet de faire s’envoler la mĂ©lodie (Plus tard, dans le judaĂŻsme, on l’appellera Talmud, Midrach ou encore Kabbalah !), NoĂ© Ă©tant le « musicien » (Oh ! Pas un maestro, juste un croquenote !) chargĂ© d’arracher celle-ci de l’instrument. L’instrument ? L’instrument c’est « l’Arche » (en hĂ©breu TĂ©va/ ŚȘŚ‘Ś”â€“â€œtav”, “bĂšth”, “hĂ©â€), c’est surtout le « mot »  ainsi que l’indique le Talmud dans l’expression tĂ©va bat chtĂ© otiyoth (« un mot de deux lettres ») ou encore le terme rachĂ© tĂ©voth (« tĂȘte de mots »). En effet si, pour Yves Duteil, le français « est une langue belle pour qui sait la dĂ©fendre », l’hĂ©breu est, pour le juif, « une langue merveilleuse pour qui sait la pĂ©nĂ©trer ». Car – Remarquez la diffĂ©rence ! – la « dĂ©fense » est une position statique tandis que « pĂ©nĂ©trer » implique un mouvement, une avancĂ©e. Ainsi, quand HachĂšm dit Ă  Noah’ TsĂ© min’-hatĂ©va (« Sors de l’Arche  »), Il dit aussi « Sors du mot ! » Le Baal ChĂšm Tov y trouve une nouvelle lecture de l’épisode* : pour sortir de la « violence » (en hĂ©breu : h’amas – Ś—ŚžŚĄ – Toute ressemblance avec des fous dangereux sĂ©vissant aujourd’hui Ă  Gaza ne serait pas fortuite !) dont Ă©tait alors remplie la terre (BĂ©rĂ©chith VI, 13), il faut entrer non seulement dans l’Arche (TĂ©va) mais aussi dans le mot (tĂ©va), en retrouver toute la dynamique du langage, la violence rĂ©sultant de ce que celui-ci se soit figĂ©. Les dimensions de l’Arche (300 coudĂ©es pour la longueur, 50 pour la largeur et 30 pour la hauteur) viennent d’ailleurs nous donner un indice Ă  l’appui de cette interprĂ©tation : chaque lettre hĂ©braĂŻque ayant une valeur propre, cela donne – selon le procĂ©dĂ© que nous nommons guĂ©matria – 30 = “lamed”, 300 = “chine”, 50 = “noun”, soit le mot lachon (ڜکڟ – « langue », Ă  la fois l’organe physique mais aussi celle d’un pays).

 

Pour comprendre ce dĂ©veloppement, il nous faut saisir ce qu’est le « mot ». A l’Origine, il est CrĂ©ation (Le Midrach nous enseigne « Le monde a Ă©tĂ© créé avec dix maamaroth – ŚžŚŚžŚšŚ•ŚȘ  », de la racine amar/ ŚŚžŚšâ€“ « dire ») mais est aussi « crĂ©ation-en-devenir ». Il peut ĂȘtre aussi cristallisĂ© au grĂ© de l’Histoire : il passe alors du verbe VayomĂšr/ Ś•Ś™ŚŚžŚš (« et Il dit ») – comme lors de la CrĂ©ation du monde – Ă  VayĂ©dabĂšr/ Ś•Ś™Ś“Ś‘Śš (« et Il parla », de dibbour/ Ś“Ś‘Ś•Śš, la « parole », de mĂȘme racine que davar/ Ś“Ś‘Śš, la « chose »)
 que l’on trouve pour la premiĂšre fois (dans BĂ©rĂ©chith VIII, 15) au moment oĂč D-ieu ordonne Ă  Noah’ de « sortir du TĂ©va ». (Il faut cependant remarquer que le « dire » se trouve Ă©galement prĂ©sent dans ce verset : VĂ©yĂ©daber 
 lĂ©mor : tsĂ© min’-hatĂ©va – Ś•Ś™Ś“Ś‘Śš 
 ŚœŚŚžŚš: ŚŠŚ ŚžŚŸ-Ś”ŚȘڑڔ – « Et Il parla en disant : Sors du TĂ©va »). Il semble donc que nous ayons affaire Ă  deux conceptions bien diffĂ©rentes du « mot » que nous allons essayer d’expliquer !

 

Nos Sages ont Ă©mis l’idĂ©e fondamentale que le texte du Tanakh – de la premiĂšre Ă  la derniĂšre lettre mais sans espacements qui permettraient d’y lire des mots ou des phrases – est un seul Nom de D-ieu ou une combinaison de plusieurs noms divins « de telle façon, dit Nah’manide, que les mots que nous lisons peuvent ĂȘtre aussi distribuĂ©s de toute autre maniĂšre et ainsi en noms Ă©sotĂ©riques ». Selon Rabbi Yossef Gikatilla, il ne s’agirait cependant pas du Nom de D-ieu mais d’un commentaire/enseignement sur celui-ci, tandis que, selon Rabbi Pinh’as de Koretz, « la Torah, telle qu’elle fut d’abord créée, n’était qu’un mĂ©lange de lettres sans signification particuliĂšre pour nous. C’est seulement lorsqu’un Ă©vĂ©nement arriva que ces lettres se combinĂšrent en mots pour relater l’évĂ©nement  ». Cette Torah, créée avant tout, se nomme Torath HachĂšm (« Torah de D-ieu ») – connue aussi sous l’expression « feu noir sur feu blanc » – et, selon Rabbi Abba, tout le peuple hĂ©breu (et toutes nos Ăąmes, dĂ©jĂ  prĂ©sentes) ont pu la voir au Mont SinaĂŻ**. D’un autre cĂŽtĂ©, nous avons la Torath MochĂ© (« Torah de MoĂŻse »), dĂ©jĂ  « structurĂ©e » par l’Histoire : les mots y semblent gravĂ©s dans la pierre, tracĂ©s Ă  l’encre indĂ©lĂ©bile sur parchemin. Et bien non ! Car l’absence de voyelles y ouvre une porte secrĂšte Ă  la Torath HachĂšm
 pour peu qu’on « sorte du mot ». Rabbi Yossef Gikatilla, dans son ouvrage « Les portes de la Clarté », met d’ailleurs la amira/« dire » en rapport avec la Loi orale (« Dire » n’est-il pas « dĂ©voiler, expliquer, rĂ©vĂ©ler » ?) et le dibbour/« parole-chose » en rapport avec la Loi Ă©crite (La parole n’a-t-elle pas Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  l’homme pour dissimuler la pensĂ©e ?). Par la Torah chĂ©-bikhtav (Ă©crite), nous avons la « transmission » ; en nous plongeant dans les mots par l’intermĂ©diaire de la Torah chĂ©-bĂ©halpĂ© (orale) toujours en progression, nous avons le « renouveau » et, ce faisant, nous nous approchons du CrĂ©ateur.

 

Car, ainsi qu’à voulu le souligner Magritte par son Ɠuvre « Ceci n’est pas une pipe », la reprĂ©sentation nominale d’une chose n’est aucunement celle-ci ! La subtilitĂ© de la pensĂ©e du maĂźtre a Ă©chappĂ© Ă  beaucoup et pourtant
 Pourtant, HĂ©raclite dĂ©jĂ  avait soulignĂ© que « L’ĂȘtre et la substance ne sont que des mots trompeurs du discours commun », ajoutant que « Tout s’écoule ». Notre Torah est comparĂ©e Ă  l’eau : substituons-lui, pour l’exemple, le Jourdain (Yarden). Le Jourdain que vous pouvez voir sera toujours le Jourdain mais, le temps que l’image arrive Ă  votre cerveau, l’eau que vous contempliez ne sera dĂ©jĂ  plus la mĂȘme car elle aura progressĂ©, se sera enrichie de nouveau sels minĂ©raux, aura enflĂ© avec l’apport de petites riviĂšres. Si l’eau Ă©tait stagnante, elle deviendrait vite impropre Ă  la consommation ! Telle est notre Torah : en nous plongeant en elle, nous suivons le fil de son eau
 tout en sachant qu’elle est « Torah » depuis sa source jusqu’à son embouchure. Elle est passĂ©, prĂ©sent et avenir, comme le TĂ©tragramme ! C’est, je pense, ce que voulait dire le KohĂšlĂšth (« L’EcclĂ©siaste ») en affirmant (KohĂšlĂšth I, 8-9) : « Toutes choses sont en travail, au-delĂ  de ce que l’on peut parler (
). Ce qui a Ă©tĂ©, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera  » (Ś›Śœ-Ś”Ś“Ś‘ŚšŚ™Ś Ś™Ś’ŚąŚ™Ś ڜڐ-Ś™Ś›Ś›Śœ ڐڙک ŚœŚ“Ś‘Śš â€ŠŚžŚ”-کڔڙڔ ڔڕڐ کڙڔڙڔ Ś•ŚžŚ”-Ś©Ś ŚąŚ©Ś” ڔڕڐ Ś©Ś™ŚąŚ©Ś” – kol ha-dvarim iguĂ©im lo-youkhal ich lĂ©daber
 ma chĂ© aya hou chĂ©-iyĂ© hou-ma-chĂ©-naasa hou-chĂ©-yĂ©assĂ©). « Choses » en travail « au-delà » de ce que l’on peut « parler » :  le sage Shlomo HamĂšlĂškh ne souligne-t-il pas lĂ  que la Torath HachĂšm est « au-delà » de la Torath MochĂ©, que cette derniĂšre est « en travail », que le « dire » de la CrĂ©ation/« crĂ©ation en devenir » est le futur – tout en Ă©tant le passĂ© – du « parler » ? Certains « imitateurs », en ne prenant pour modĂšle de leur ersatz que la Torah « écrite », ne
 parlent-ils pas pour ne rien dire ?

 

C’est pourquoi la civilisation occidentale n’apporte rien Ă  l’avenir sinon le logos, conçu comme une rationalitĂ© suprĂȘme gouvernant le monde, qu’elle confond avec son dieu. (L’Evangile de Jean affirme ainsi que « Au commencement Ă©tait le Logos », mot que Louis Segond traduit avec justesse par « la Parole » !) S’étonner aprĂšs cela que – se basant uniquement sur la chose tout en faisant l’impasse sur son dĂ©veloppement – elle en soit arrivĂ©e au matĂ©rialisme violent, Ă  une culture du (de la) « main-tenant », Ă  des loisirs ne visant qu’à « tuer le temps » et Ă  un fatalisme se rĂ©sumant par le « No future ! » des nouvelles gĂ©nĂ©rations


 

Rabbi LĂ©vi Itsh’ak de Berditchev nous explique qu’il y a deux sortes de rapports au langage, un rapport passif – utilisation d’une langue dĂ©jĂ  existante Ă  laquelle l’homme se soumet – et un rapport actif : « L’homme dirige les lettres » de telle façon qu’il construit un nouveau langage qui lui donne une vision Ă©largie du monde. Il faut que les mots vivent, dansent, chantent et prennent leur essor comme l’oiseau quittant son nid
 pour y revenir et repartir Ă  nouveau !

 

Ce « nid », nous le trouvons dans le texte : « (en forme) de nids tu feras la TĂ©va  » (kinim taasĂ© Ăšt-haTĂ©va – Ś§Ś Ś™Ś ŚȘŚąŚ©Ś” ڐŚȘ-Ś”ŚȘڑڔ – BĂ©rĂ©chith VI, 14). Le « mot » est donc le « nid » et, comme celui-ci, il s’entrelace. Ce « mot », ce TĂ©va, est aussi un « entrelacement » du TĂ©tragramme. Rabbi I. Horowitz commente : « Il a combinĂ© (« tsiref » – Â ŚŠŚšŚŁâ€“ “tsadi” , “rĂȘch”, “pĂ©/phĂ©â€ final
 lettres que l’on retrouve dans « oiseau » – tsipor – Â ŚŠŚ€Ś•Śšâ€“ “tsadi” , “pĂ©/phĂ©â€, “vav”, “rĂȘch” !) le Ś™Â  (“yod”, valeur guĂ©matria = 10) et le Ś” (“hey”, valeur guĂ©matria = 5). C’est la dimension de la largeur (10 x 5 = 50). Ensuite, il a combinĂ© ce rĂ©sultat avec le Ś• (“vav”, valeur guĂ©matria = 6 donc : 50 x 6) ce qui fait 300, c’est la dimension de la longueur. Enfin, il a entrelacĂ© le Ś• (“vav”) avec le deuxiĂšme Ś” (“hey”), ce qui fait (6 x 5) 30, c’est la dimension de la hauteur. Le “hey” et le “vav”, qui font 30, combinĂ©s avec le premier “hey”, voilĂ  150, qui sont les 150 jours de la montĂ©e des eaux (BĂ©rĂ©chith VII, 24) » Dans le « mot », nous retrouvons donc les trois dimensions prolongĂ©es par le « temps »  que l’Occident tue.

 

Et l’oiseau, me demanderez-vous ?! De mĂȘme que la colombe et le corbeau, l’oiseau est trĂšs prĂ©sent dans cette histoire. Ainsi, dit le Midrach Rabba (BĂ©rĂ©chith Rabba, pĂ©ricope Noah’) : « De la mĂȘme façon que l’oiseau est expiation pour le lĂ©preux, ainsi la TĂ©va  » Et d’expliquer que la « lĂšpre » (tsaarat – ŚŠŚšŚąŚȘ – Rien Ă  voir avec la maladie ainsi actuellement nommĂ©e !) est une affection du corps rĂ©sultant du lachon hara (ŚœŚ©Ś•ŚŸ-Ś”ŚšŚą – « langue mauvaise », c’est-Ă -dire « mauvais rapport au langage, distorsion de notre inscription dans les mots »), le « lĂ©preux » (metzora – ŚžŚŠŚšŚą – contraction de l’expression motsi chem ra – ŚžŚ•ŚŠŚ™Ś Ś©Ś ŚšŚą – « celui qui fait sortir un nom mauvais ») Ă©tant celui qui a perdu la notion de culpabilitĂ© et de responsabilitĂ©. « L’oiseau (tsipor – Â ŚŠŚ€Ś•Śšâ€“ “tsadi” , “pĂ©/phĂ©â€, “vav”, “rĂȘch” ), par son chant, vient rĂ©parer cette situation. Le mot tsipor se lit aussi tsĂ©rouf ( ŚŠŚšŚ•ŚŁâ€“ “tsadi” , “rĂȘch”, “vav”,  “pĂ©/phĂ©â€ final), qui signifie : combinaison de lettres d’un mot pour produire d’autres mots, et ainsi libĂ©rer et ouvrir les Ă©lĂ©ments d’une structure afin de mĂ©nager la possibilitĂ© d’existence Ă  d’autres modalitĂ©s de formes*** ». Le tsipor – se composant des mots tsour (ŚŠŚ•Śš – “tsadi ”, “vav”, “rĂȘch” – « rocher ») et pĂ© (ڀڔ – “pĂ©â€, “hey” – « bouche ») est donc, mĂ©taphoriquement, le « dire » qui permet de sortir de la « chose » !   

 

Cette mĂ©taphore d’oiseau se retrouve par ailleurs dans la Mitsvah des Tsitsit : «  vous ferez pour vous un tsitsit sur les kanfĂ© de vos vĂȘtements » (BĂ©midbar XV, 38). Cette « frange » (ŚŠŚ™ŚŠŚ™ŚȘ – tsitsit) est nouĂ©e de telle façon que le nombre de nƓuds et de tours correspond numĂ©riquement au Nom de D-ieu**** (soit : “tsadi : 90” +“yod : 10” + “tsadi : 90” + “yod : 10” + “tav : 400”  = 600, auxquels il faut ajouter les 5 nƓuds et les 8 fils = 613) et elle est placĂ©e aux « ailes » (kanfĂ© – ڛڠڀڙ – qui peut aussi se traduire par « coins/extrĂ©mitĂ©s ») du vĂȘtements. L’image est extraordinaire : de la « chose » (le vĂȘtement), l’oiseau prend son envol et passe ainsi vers le Nom qui se trouve au cƓur des 613 Mitsvoth !

 

Il existe, en hĂ©breu, un synonyme de tĂ©va (« mot ») : il s’agit de Mila. La Brith mila (« Circoncision ») est donc bien « l’Alliance du mot » comme nous venons de le dĂ©montrer
 et c’est cela que, d’un trait de plume, veulent aujourd’hui interdire les Antiochus Epiphane modernes du Parlement du Conseil de l’Europe. Qu’ils prennent garde ! De tels ukazes n’ont jamais trĂšs bien rĂ©ussi Ă  leur prĂ©dĂ©cesseurs de l’ignoble.**, ***, ***

 

Par YĂ©h’ezkel Ben Avraham pour Alyaexpress-News

 

 

* Comme soulignĂ© dans un prĂ©cĂ©dent article (« La Torah : Pierre angulaire
 et prĂ©cieuse ! »), cette interprĂ©tation ne vient nullement contrarier le Pschat (sens simple et littĂ©ral). Pour ceux qui douteraient, vu l’exiguĂŻtĂ© de l’Arche, que tous les animaux aient pu y entrer, signalons simplement que si quelqu’un avait, il y a quelques dizaines d’annĂ©es, prĂ©tendu qu’il Ă©tait possible de mettre tout le contenu d’une bibliothĂšque nationale sur quelques cmÂČ, il aurait passĂ© pour fou ! Aujourd’hui, cela se fait rĂ©guliĂšrement sur des puces Ă©lectroniques. Si un tel « miracle » est possible Ă  l’homme, pourquoi nier les « capacitĂ©s » de D-ieu ?