MASCARA ET MASCARADE – Par Rony Akrich

MoshĂ© tardait Ă  redescendre du mont SinaĂŻ et le cƓur des enfants d’IsraĂ«l se remplissait de crainte et d’inquiĂ©tude face Ă  la longue sĂ©paration de leur chef.
Ils se tournĂšrent alors vers Aharon, son frĂšre, et celui-ci leur demanda :

« DĂ©tachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et me les apportez. »

Tous s’en dĂ©pouillĂšrent et les apportĂšrent Ă  Aharon, les ayant reçus de leurs mains, il les jeta dans un moule et en fit un veau d’or, symbole d’une vĂ©ritĂ© fourvoyĂ©e :

« VoilĂ  tes dieux, ĂŽ IsraĂ«l, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte ! » (Shemot 32, 2-4)

Le masque biblique n’est pas un masque mais une statuette fabriquĂ©e avec du mĂ©tal fondu, coulĂ© dans un moule, comme il est Ă©crit dans le livre Shemot, l’Exode, ou d’autres encore. C’est-Ă -dire ici un veau de mĂ©tal !
A l’exception du livre d’IsaĂŻe, oĂč le mot est utilisĂ© au sens de couvrir :

« Sur cette mĂȘme montagne, il dĂ©chirera le voile qui enveloppe toutes les nations, la couverture qui s’étend sur tous les peuples. » (25,7)

Ceci est conforme Ă  une autre sens de la racine Na/sa/ch’ ((Ś .ŚĄ.ښ – qui signifie tissĂ©e – d’oĂč nous tirons les noms des parties du Talmud – les TractĂątes. Le masque d’IsaĂŻe est dĂ©jĂ  plus proche des masques de Pourim que du veau d’or. Il est, en effet, en partie Ă  l’origine du mot
 mais seulement en partie.
On ne peut trouver aucun substantif dĂ©finissant les masques faciaux dans les anciennes sources HĂ©braĂŻques, car le port du masque est Ă©tranger au JudaĂŻsme
 Ă©tranger jusqu’à ce qu’il devienne, soudainement, une coutume dans l’Italie de la Renaissance.

« Maudit soit l’homme qui ferait une image taillĂ©e ou jetĂ©e en fonte, objet d’abomination pour l’Éternel, ouvrage de l’art humain, et qui l’érigerait en un lieu secret ! »

Sur quoi le peuple entier répondra :
« Amen ! » (Devarim 27, 15)

Les caractĂ©ristiques carnavalesques de Pourim sont apparues dans l’Italie des XIIIe et XIVe siĂšcles sous l’influence de la culture carnavalesque italienne.

Nous entendons parler de ces coutumes, d’abord par Kalonymus ben Kalonymus ben Meir, (nĂ© Ă  Arles en 1286 et dĂ©cĂ©dĂ© aprĂšs 1328), rabbin provençal, philosophe et traducteur. Il Ă©tudie la philosophie et la littĂ©rature rabbinique Ă  Salonique. Il naquit une gĂ©nĂ©ration seulement aprĂšs le premier recencement du Carnaval de Venise qui se dĂ©roulera chaque annĂ©e aux environs de la pĂ©riode de Pourim.

«Parce qu’ils deviennent fous et se divertissent» dĂ©crit Kolonimus Ă  propos des cĂ©lĂ©brations de Pourim dans son livre «Even Boh’an». Un traitĂ© d’éthique, Ă©crit en l’an 1322.
Il se propose de montrer les perversitĂ©s de ses contemporains, ainsi que les siennes. Il passe en revue toutes les positions sociales dont les hommes sont fiers, et dĂ©montre leur vanitĂ©. À la fin, il Ă©numĂšre les souffrances d’IsraĂ«l, exprimant l’espoir que Dieu aura pitiĂ© de son peuple qui a souffert des persĂ©cutions des bergers et des lĂ©preux, avec en plus un autodafĂ© du Talmud Ă  Toulouse, au cours des trois annĂ©es, de 1319 Ă  1322, pendant lesquelles l’Even Boáž„an a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©.

Pour la premiĂšre fois au 15Ăšme siĂšcle, un Rabbin de la ville de Padoue, Yehuda Mintz, nous fait part d’une nouvelle coutume Ă  son Ă©poque : le port d’un masque Ă  Pourim, moment essentiel des cĂ©lĂ©brations festives, il les appelle «partsoufim» (faciĂšs).
Au long cours des gĂ©nĂ©rations, l’usage du dĂ©guisement avec le visage dissimulĂ© par une autre figure, Ă  Pourim, se rĂ©pand dans le monde Juif.
Depuis les temps antiques, le mot masque Ă©tait principalement utilisĂ© pour signifier le culte de la statue paĂŻenne, totalement interdite, par ailleurs, dans le JudaĂŻsme. L’utilisation du terme commencera, Ă  cette Ă©poque, Ă  se populariser, se traduira Ă©galement chez les communs comme une couverture selon le livre d’IsaĂŻe.
Apparemment, la proximité de ce substantif proche du mot visage, combinée à sa ressemblance au mot étranger, «masque», ont trÚs certainement conduit au changement de son sens, à la fin du 19e siÚcle.

Comme Eliezer Ben-Yehuda l’a dĂ©crit dans son dictionnaire :
« on commença par l’utiliser en ces temps nouveaux sous un autre entendement : celui de « face      cachĂ©e ».

Pour en parler, les expressions europĂ©ennes («maske» en allemand, «mask» en anglais et «masque» en français) proviennent toutes du mot italien «maschera», apparu au milieu du 14Ăšme siĂšcle, Ă  la fois, dans le sens de masque facial portĂ© lors d’un carnaval mais, aussi, comme un maquillage nommĂ© mascara de nos jours. Son origine demeure, malgrĂ© tout, encore et beaucoup dans l’ombre.

Selon certains linguistes, il provient du latin «masca» signifiant ‘dĂ©mon ou mauvais esprit’.
D’autres suggĂšrent le mot arabe «massh’ara», que nous avons adoptĂ© dans l’argot hĂ©braĂŻque contemporain, comme quelque chose de pas sĂ©rieux qui parle de dĂ©guisement, de rire et de clown. D’autres linguistes affirment que les deux sources ont eu un impact conjoint.
Le mot argotique «massh’ra» vient de l’arabe «massh’ara» qui exprime soit le rire, le ridicule, soit la mascarade.
L’entendement que nous avons de «mascarade» ne dĂ©rive pas directement de la mĂȘme racine arabe, moquerie et dĂ©rision, mais de la «maschera» italienne (lire : mascara), qui implique masque et mascarade, mais aussi «se donner une image».

Le sujet n’est pas clair : ce dernier est-il liĂ© Ă  une Ă©volution du signifiant Ă  partir de la racine arabe, puis de retour Ă  l’arabe avec un nouveau signifiĂ©, ou est-il un dĂ©rivĂ© du mot «mask », racine indo-europĂ©enne, signifiant noircir (ĂȘtre ou rendre noir) ?
Il existe de nombreuses langues oĂč le signifiĂ© est de noircir le visage, une premiĂšre façon de se dĂ©guiser avec le «mascara», ce mĂȘme maquillage avec lequel les femmes peignent leurs cils.

Les masques marquent le dĂ©but du carnaval dont les racines anciennes remontent Ă  l’Égypte ancienne. Ces processions ont d’abord mis en Ă©vidence le changement de saison, jusqu’à ce que les festivitĂ©s deviennent quelque chose d’extraordinaire, marquĂ© par le chaos et le renversement de l’ordre habituel avec des pauvres dĂ©guisĂ©s en riches, des riches dĂ©guisĂ©s en ouvriers, etc
 Une attitude sobre a remplacĂ© l’ivresse, jadis courante, pour devenir le moment oĂč le renversement des normes sera sanctionnĂ©.

À la fin du XVIe siĂšcle, un nouveau type de théùtre de rue fait son apparition en Italie, une sorte de comĂ©die stand-up connue sous le nom de Comedia dell’arte. Ce rĂ©pertoire a produit des personnages masquĂ©s qui ont perdurĂ© jusqu’à ce jour. Les femmes ont jouĂ© un rĂŽle important dans ces comĂ©dies, portant par exemple le masque de Colombina, personnage de la joyeuse servante.

Les masques Ă©taient Ă©galement une caractĂ©ristique commune du théùtre asiatique. Ils Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©sents dans le théùtre japonais et corĂ©en dĂšs le VIIIe siĂšcle. Au 14Ăšme siĂšcle, le trĂšs aristocratique théùtre Noh a commencĂ© permettant aux femmes de porter des costumes et d’agir. Les hommes jouaient des rĂŽles fĂ©minins, comme ils l’avaient fait dans le théùtre grec ou shakespearien.
En revanche, les femmes ont Ă©tĂ© les fondatrices du théùtre Kabuki, mais trĂšs rapidement le gouvernement du Shogun leur a interdit de se produire. Les acteurs de Kabuki ne portent pas de masques. Leurs visages portent un maquillage Ă©pais qui ressemble Ă  un masque. Une pratique similaire Ă©tait courante, sous forme de théùtre, au sud de l’Inde, connue sous le nom de Kathakali, oĂč les femmes Ă©taient Ă©galement interdites de se produire.

Le motif de la mascarade apparaßt dans la Bible à deux niveaux différents : une tentative de tromper les gens et une tentative de tromper Dieu.
Bien que la Bible ait Ă©tĂ© Ă©crite par des hommes, elle n’indique aucune diffĂ©rence entre les masques masculins et fĂ©minins, comme c’est le cas dans d’autres cultures.
Tamar se fait passer pour une prostituĂ©e et change d’identitĂ© pour tromper Juda, elle y rĂ©ussit.
En plus des rĂ©fĂ©rences dans les textes bibliques, les auteurs des Talmuds de Babylone et de JĂ©rusalem, de la Michna, du Tosefta et des Midrashim ont longuement discutĂ© des changements de vĂȘtements et des maquillages de visages. Les femmes sont une composante majeure de ces discussions car elles sont dans un jeu de rĂŽles pour diffĂ©rentes raisons liĂ©es Ă  la sĂ©duction, au paraitre, Ă  la conjugalitĂ©, Ă  la personnalitĂ© affirmĂ©e, etc


Celui qui porte un masque souhaite conserver l’illusion d’ĂȘtre quelqu’un d’autre. Être dĂ©masquĂ© ruinerait tout.
Mais que se passe-t-il si le porteur du masque s’identifie totalement au masque ?

Une grande partie de la tragĂ©die humaine est le rĂ©sultat de personnes oubliant qui elles sont Ă  la racine. Ils revĂȘtent divers masques et personnages prĂ©tendant, en fait, ĂȘtre ce qu’ils ne sont pas. Ils peuvent imaginer qu’ils ne peuvent rĂ©ussir, ou ĂȘtre heureux, qu’en adoptant une certaine personnalitĂ© ou se trahissent pour gagner l’approbation des autres.
Les gens, dans leur dĂ©sir d’ĂȘtre populaires, finissent souvent par jouer le jeu. Ils s’habillent, parlent, rient, socialisent – comme ils s’attendent Ă  ce que les autres veuillent les voir s’habiller, parler, rire et socialiser. Pour obtenir l’approbation, ils porteront le masque qui, selon eux, les fera progresser.

Heureusement, de nombreuses personnes sont authentiques, naturelles et bonnes. Elles s’efforcent de ne pas porter de masques, de ne pas se faire passer pour quelqu’un d’autre qu’elles-mĂȘmes, assez sages pour se rattraper si elles se sentent agir artificiellement.
Mais d’autres semblent jouer le jeu, prĂ©tendant ĂȘtre ce qu’ils ne sont pas.
Les personnes perspicaces peuvent voir Ă  travers le masque. Ils ont pitiĂ© des porteurs de masques devant dĂ©penser tant d’énergie Ă  essayer d’ĂȘtre Ă  la hauteur d’une fausse image d’eux-mĂȘmes.

Les porteurs de masques sont terrifiés par ceux qui voudraient et pourraient les démasquer.
Les mascarades sont constructives, si l’on se rend compte qu’il s’agit de descentes rares dans la fantaisie.
Les mascarades sont destructrices, si les porteurs de masques cessent de faire la distinction entre eux et leurs masques.

Pourim est le rappel d’une ligne fine entre la rĂ©alitĂ© et l’illusion.
Brouiller cette derniĂšre, une fois par an, montre Ă  quel point on peut facilement perdre de vue la vĂ©ritĂ©, l’authenticitĂ©.
Mais aprĂšs le jour de la mascarade, nous sommes censĂ©s avoir mieux compris qui nous sommes sous le masque – et qui nous sommes lorsque nous ne portons pas de masque.

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