Ainsi parla Cyrus, roi de Perse: «L’Eternel, D.ieu du ciel, m’a mis entre les mains tous les royaumes de la Terre, et c’est Lui qui m’a donné mission de Lui bâtir un Temple à Jérusalem, qui est en Judée. S’il est parmi vous quelqu’un qui appartienne à Son peuple, que l’Eternel, son D.ieu, soit avec lui, pour qu’il monte!… » (Chroniques 2 chap.36 v.23)

 

L’entreprise d’Ezra et de Néhémie, sur laquelle s’achève l’Histoire biblique, nous instruit sur les difficultés incessantes et inhérentes au rétablissement d’un Etat juif sur la Terre promise. La Bible formule et décrit en parallèle, dans un style empli de sous-entendus, l’état des lieux du Judaïsme de Diaspora; l’histoire d’Esther enseigne les tourments continuels qui rongent les Juifs, écartés du sol ancestral et assimilés à une existence ordinaire dans leur pays d’accueil, de recueil et le plus souvent de cercueil.

 

Les Juifs de Suse sont des Judéens expatriés, face au roi Assuérus, Aman dresse d’eux un rapport aux desseins fallacieux mais qui reflète une réalité incontestable : les juifs de l’Empire perse restent fidèles à leur religion qui les singularise de leurs voisins idolâtres. Ils préservent leurs traditions et, sur certaines questions, leur Loi est en opposition avec celle du pays.

Le personnage d’Aman est l’archétype même de l’arrogant qui estime certainement disposer de toutes les clés du pouvoir, il est persuadé que le roi lui est entièrement dévoué.

Impitoyable et belliqueux, il est fermement décidé à exterminer sans contre partie tout un peuple, simplement par le fait qu’un dénommé Mordechaï conteste l’idée de devoir se courber devant lui.

La vie de Mordechaï, sur la scène de l’Histoire moyen-orientale reste des plus exceptionnelles. Voici un homme, citoyen exemplaire et fidèle à l’empire, qui atteindra les plus hautes fonctions de l’Etat sans jamais révéler sa véritable nature identitaire.

Le livre d’Esther nous dévoile les dessous du personnage, sa réelle personnalité, celle de défenseur invétéré de son peuple meurtri.

Voila donc la raison pour laquelle il s’engage au service d’un pouvoir dictatorial et hégémonique: aider et soutenir ses frères dans la misère de l’exil.

Il n’est, ni ne sera un perse de confession israélite, mais un «Hébreu» banni de Jérusalem, tout comme les Juifs de France sont des Juifs exilés en Gaule et nés là-bas par un accident de l’Histoire.

Ainsi Rabbi Moïse de Coucy, auteur d’une grande œuvre littéraire, était appelé «le Sire de Coucy» mais il signait «Moshé l’exilé de Jérusalem qui se trouve en France». Sa patrie, ou plutôt sa «matrie», restait sans l’ombre d’un doute, Eretz Israël.

En 3327, lors de l’exil en Babylonie de Yoach’in, roi du royaume de Judée, Mordéchai décide de se joindre à lui avec une partie de la noblesse et ce, onze ans avant l’anéantissement du Temple.

52 ans après la destruction de ce dernier, Cyrus, roi de Perse, transfère sa capitale de Babylone à Suze, emmenant Mordéchai, déjà haut fonctionnaire du royaume et préparant sa stratégie de sauvetage du peuple juif.

Lorsque cette même année Cyrus publie sa célèbre déclaration autorisant les Juifs à rentrer au pays et à y reconstruire la maison de D.ieu il obtient gain de cause et rentre en Eretz Israël. Il lui fallut rester 63 ans en exil pour obtenir du souverain une telle déclaration. Il aura été un premier ministre remarquable, animé d’un zèle vigilant au service du pouvoir et de l’Empire.

Une troublante analogie historique nous montre le Rav Kook – invité à un congrès de l’Agoudat Israël en Allemagne – se trouvant bloqué en Europe lorsque la première guerre mondiale éclata. En tant que ressortissant russe, il était considéré par les Turcs, alors maîtres d’Eretz Israël, comme un ennemi. Il se rendit alors en Angleterre où les Juifs assimilés et également les Juifs orthodoxes s’opposaient au Sionisme. Son autorité pesa de manière décisive et définitive dans l’obtention de la célèbre «déclaration Balfour» en 1917.

Mordéchaï rentre dans son pays, non sans difficulté, déjà, à son époque, des populations s’installent en Eretz Israël et prétendent exclure les Juifs qui y reviennent.

Les «bons» samaritains, puisqu’il s’agit d’eux, comprenant que ni les menaces, ni le terrorisme ne s’avèrent efficaces, utilisent la voie diplomatique. Ils veulent obtenir de Cyrus l’arrêt des constructions à Jérusalem et en Judée, sans oublier de bloquer l’immigration. C’est alors que les nouveaux «Israéliens» envoient une délégation à Suse avec le même Mordéchai comme chef de file, contraint ainsi de redescendre en exil.

À la vérité, Aman est un poltron, il a peur de Mordechaï, et s’il souhaite exterminer les Juifs, c’est avant tout parce qu’il craint le peuple de D.ieu. S’il s’était senti puissant, il aurait suffi d’éliminer ce «trublion» qui lui tient tête, mais instinctivement, Aman comprend que le tuteur d’Esther n’est pas le véritable obstacle à son aveugle volonté de puissance.

 

L’obstacle est plutôt le peuple juif tout entier qui reste dans l’Histoire le principal témoin de l’existence de D.ieu, contre qui il ne peut rien.

 

Revenons à la dénonciation d’Aman. Il n’évoque guère le fait que les Juifs veulent être d’une loyauté irréprochable tout en gardant une allégeance ancestrale à leur tradition religieuse. Ils souhaitent être de vrais patriotes et collaborent naturellement aux banquets royaux, montrant ainsi une sincère complaisance envers le pouvoir en place.

A la même époque, le pays d’Israël se reconstruit, alors qu’eux décident de rester dans les régions idolâtres de l’Empire, affirmant qu’il s’agit bien d’un choix, joindre leur destin à celui de la Perse. C’est précisément ce soin porté à vouloir préserver cette double allégeance: Juif et Perse qui se révèle pénible pour les Juifs de la Diaspora et, à la longue, irréalisable.

Le piège se referme peu à peu et Aman aura gain de cause, il ne se contente pas seulement d’empêcher l’émigration, il se consacre dorénavant aux préparatifs de son grand projet: la solution finale du problème juif.

Quelques temps plus tard nos deux protagonistes, Esther et Mordéchaï, mèneront une opération délicate afin de parvenir à un retour de situation où Aman et sa famille périront par la même occasion.

En ce temps là, l’antisémitisme explose, violent et diabolique, sans aucune raison évidente, contre les Juifs où qu’ils soient.

Fidele admirateur du Pharaon durant l’exil des Hébreux en Egypte, modèle de tous les antisémites qui ne manquent jamais à l’appel, Aman désire exécuter, à la lettre, le bréviaire de la haine auquel Hitler accorda il n’y a pas si longtemps, son expression la plus totale.

Le ressentiment d’Aman à l’égard des Juifs est seulement égoïste, sa fierté a été amputée par le Juif Mordéchaï, mais loin de s’en tenir à une vengeance individuelle, il décrète l’extermination totale de tout le peuple juif. Et pourtant il tremble.

Lorsqu’il il lui faut opter pour une date d’extermination, il fait appel à la magie et au sort et ce afin de se ranger sous l’aile de divinités occultes. Du reste, voulant s’assurer la bienveillance de ces forces du Mal, il patientera onze mois entre le «tirage au sort», survenu au mois de Nissan, et la date du décret, le 13 Adar.

Tout au long de cette période il lui faudra quotidiennement affronter son ennemi, Mordehaï, qui refuse de se plier et de se courber devant lui et ce, malgré les supplications des dirigeants communautaires qui préféraient de loin se prosterner et mettre de coté leur honneur, car, disaient-ils, vivre est un commandement cardinal.

Aman est l’étalon antisémite percevant les Juifs comme seul obstacle à sa volonté de domination: à travers Israël, il tente d’éliminer l’incontestable Maître du Monde.

Pour organiser cet holocauste, il utilise la fourberie et la perversité, II rencontre auprès du roi, un soutien certain. L’appareil de l’Etat et les masses populaires sont suffisamment convaincus pour s’engager corps et âme à son service. Il est bon de se souvenir que, même longtemps après la mort d’Aman, sa horde sauvage ne se calme pas.

Seules la détermination, l’abnégation et l’opiniâtreté d’êtres exceptionnels comme Mordechaï et Esther permet de lutter contre cet antisémitisme d’antan.

Voici donc une autre de ces situations ambigües de la diaspora, ce ne sont pas des actions de masse qui encouragent le salut. La majeure partie du peuple reste inconsistante et démoralisée devant les agressions antisémites, devant brimades et vexations. Mais il est vrai que certains Juifs parviennent à se réveiller et à se sortir des torpeurs de l’exil, prenant conscience de leur alliance avec le peuple et mobilisant toute leur énergie, réussissant à empêcher les assauts et à rester maitres de la situation, ce sont les héros de la Diaspora.

Rien de surprenant à ce que les événements relatés dans le Livre d’Esther aient gravé une «empreinte profonde» dans l’existence du peuple d’Israël. Leurs descendants, dispersés sur la surface du globe, y découvrent une fabuleuse perspective de leur propre aventure. Mordehaï et Esther étaient des Benjaminites, descendants du roi Saül, tandis qu’Aman était un rejeton du roi Amalécite Agag. Le combat entre Israël et Amalek, commencé durant les péripéties de Jacob et d’Esaü, poursuivi dans le désert et à l’époque de Saül, rejaillissait aux ultimes moments de l’Histoire biblique.

 

La pensée juive estime que la fête de Pourim est l’une des données perpétuelles de la rivalité entre le Bien et le Mal incarné par l’opposition entre Israël et Amalek.

 

La fête de Pourim, établie par Mordehaï et Esther, s’est de suite changée en une fête des plus populaires au sein du Judaïsme postbiblique. En tout temps elle sera opportune à une remise en question de la condition juive parmi les nations, le déguisement deviendra une tradition inséparable de ce jour où l’on voulait y voir la Main secrète de l’Eternel.

 

L’Histoire apostrophe le peuple juif et lui commande de se dégager des carcans d’un exil disgracieux, dilué dans les déséquilibres d’une Humanité impuissante à se protéger d’elle même. Il serait plus juste et plus honorable en ce jour de jeter nos masques, de ne plus «par-être», de nous regarder dans un vrai face à face où l’évidente conclusion serait que plus jamais je n’accepterai d’exil ayant fait de moi un être vil, collaborateur et serviteur d’un pouvoir étranger sur une terre étrangère recouvrant les cendres de mon peuple.

En 3406, Darius, fils d’Assuérus et d’Esther, autorisera les Juifs à retourner sur la Terre ancestrale et à

reconstruire le Temple de Jérusalem.