(Autobiographie d’un guèr devenu yorèd)
Un jour, je suis allé dans Ton moshav (1)et j’y ai découvert l’esquisse du bonheur. Tu étais là, restant généralement cachée, mais veillant au bonheur de chacun des membres qui y vivaient. C’est dans cette période que je T’ai entrevue, Toi qui avais créé ce coin de paradis, toute resplendissante de lumière, de justice mais aussi de bonté. Ton souvenir m’a bientôt hanté et je n’ai eu de cesse que de Te revoir, d’avoir le droit de faire partie intégrante de Ta communauté. Je suis parti Te rejoindre, quittant ma famille, mes amis, mes biens. Trois longues années d’attente et d’apprentissage avant d’être pleinement accepté par Toi!
Ah! J’étais heureux, me promettais de suivre tous Tes conseils (2), de m’intégrer parfaitement dans la vie communautaire. Le fait que certains de Tes voisins voulaient voler Tes terres, nous en expulser, ne m’effrayait pas: j’étais prêt, pour l’amour de Toi, à exposer – s’il le fallait – ma vie! Les autres m’acceptaient mais, en tant que «petit nouveau», ne me gardaient aux repas que la portion congrue. Oh! Ils n’étaient pas méchants, c’était juste le «chacun pour soi»! Moi, je ne demandais pas grand-chose, juste de quoi manger à ma faim. Les autres membres de la communauté avaient beau me dire que la nourriture de l’esprit vaut bien celle du corps, j’étais privé des deux car, pour me sustenter spirituellement, j’aurais dû avoir l’accès à tous ces livres qui – pour moi – n’étaient que grimoires rédigés dans une langue sacrée dont je ne possédais que les rudiments. Eux, ils pouvaient jongler avec elle, en découvrir les sens cachés, en extraire la substantifique moelle… mais aucun ne venait vers moi pour me proposer de partager leur savoir. (J’aurais dû le leur demander, mais j’étais trop fier pour cela!) Bien sûr, comme toujours dans un groupe de gens vivant en commun, il y avait quelques disputes: certains ne reconnaissaient pas Ton autorité, d’autres voulaient vendre une partie des terres, d’autres encore s’abouchaient avec les ennemis du moshav; d’un autre côté, il y avait ceux qui – sans Te contester – renâclaient sur Tes directives, ceux qui – manquant de souplesse – insistaient pour que chacun les suive au-delà de Tes désirs. L’un dans l’autre, on s’entendait pourtant parfaitement!
Un jour, je me suis aperçu que mon écuelle était vide… parce que certains égoïstes l’avaient ajoutée à leur repas. Toi, voulant éprouver mon amour, Tu n’es pas intervenue et moi, encore tout aux souvenirs du fleshpot que j’avais goûté jadis dans ma famille, j’ai craqué! Te clamer mon amour, amaigri et couvert de guenilles, me paraissait peu seyant au respect qui T’était dû: je voulais paraître devant Toi en pleine forme, dans de beaux habits de lumière afin de Te faire honneur. Je suis alors reparti sur les routes de France et de Navarre pour faire fortune, espérant revenir déposer mes trésors à Tes pieds, en faire profiter les autres et ne plus dépendre de personne. J’avais dans ma besace une photo de Toi (3), me promettais de suivre tous Tes conseils, de ne jamais T’oublier, de T’écrire (4)chaque jour.
Las! Loin de Toi, mes lettres se sont espacées, Tes conseils ont fui mon esprit préoccupé par la soif d’argent. Mes nouveaux amis, auxquels je vantais Tes qualités, ne Te connaissaient pas et – en m’écoutant – se disaient «Pauvre vieux! Un amour platonique à des milliers de lieues…» Mais, moi, sûr que Tu ne m’avais pas oublié, que Tu me pardonnerais, je T’écrivais encore de temps en temps (Hélas! Pas assez souvent.), trempant ma plume dans les larmes de mon exil. Parmi les gens que je rencontrais, il existait aussi des anciens du moshav et d’autres personnes ayant eu vent de Toi: certains ne voulaient plus vivre là-bas, d’autres – en T’écrivant chaque jour – attendaient patiemment que Tu les appelles ou prétendaient même que Tu ne vivais plus là-bas… Ils s’étaient forgés leur petite vie, une vie dont je me sentais aussi éloigné que la distance qui me séparait de Toi!
Un jour, j’ai appris que certains membres de la communauté – ceux en qui j’avais le plus confiance (6) – avaient vendus une partie du moshav en échange de quelques fruits illusoires et, toujours aussi pauvre, je suis accouru défendre Ton bien que les voisins grignotaient. J’ai pris un fusil, courant de-ci, courant de-là, pour surveiller le terrain. Agissant sous Ta houlette, j’étais à nouveau heureux mais les gens qui m’entouraient avaient changés, encore plus égoïstes et – pour la plupart – contestant même Tes décisions… et, quand j’ai trouvé mon assiette une fois de plus vide, je suis reparti!
Me revoilà, veaux, vaches, cochons, couvées! Et qu’importe si le suidé n’est pas kosher, si Tu le déconseilles! Je suis sûr que, fortune faite et revenant comme l’enfant prodigue de l’histoire, Tu me comprendras, Tu me pardonneras cette petite entorse et mes infidélités.
Et puis… Et puis voilà que j’apprends que certains ont promis les trois-quarts de Tes terres (7), ont permis à des nomades (8) de s’installer dessus. Je reviens en catastrophe mais on me signifie qu’il s’agit de la décision de la majorité et que Tu n’as plus qu’à T’incliner. Je tempête, je crie, les traite de voleurs… mais celui qui T’avait trahie se meurt et tous accusent mon amour pour Toi d’être le responsable de son trépas! On me dit que j’ai déformé Ta pensée, que Tu es «pacifiste», que je T’ai mal comprise, que l’amour que je Te porte n’est que perversion. Je veux puiser ma force dans les grimoires, y trouver les preuves que cet amour est la Vérité… et je m’aperçois que, à force de courir après les trésors illusoires, j’ai oublié d’apprendre la langue qui me permettrait de comprendre Tes volontés.
Adieu donc, Toi que j’aime toujours, Toi que je sens si proche mais qu’on m’affirme si éloignée! Rejeté dans l’exil, je referai ma vie, je T’oublierai…ou, tout au moins, oublierai Tes serviteurs. A certaines dates, comme pour commémorer un yahrzeit, je célébrerai de temps à autres les fêtes que Tu avais instaurées pour Ta communauté. Quand le blues sera trop fort, je T’écrirai ou je me replongerai dans ces livres savants qui analysent – en français – la façon dont Tu diriges encore la communauté.
…Mais non! Je sais que Tu m’aimes toujours, que c’est moi qui avais raison, que Tu as été trahie, que Ton moshav mérite d’être défendu, que Tu attends que j’y revienne, que d’autres membres qui ont confiance en Toi y ont besoin de renfort! J’y reviens, en effet… juste un passage éclair pour résister passivement à un nouveau démembrement de Ton lopin de terre, effectué cette fois par l’un de Tes administrateurs que l’on disait des plus fidèles à l’intégrité de Ton bien (9). Des frères, sous l’uniforme de tes armées, nous en ont arraché et des bulldozers y ont ensuite écrasé des milliers de mezouzoth… J’en pleure encore aujourd’hui! Retour, désespéré, aux bords des fleuves de Babylone où, fatigué, je me suis assis.A presque 60 ans, je n’ai plus le courage. Et pourtant…
Pourtant, je T’aime Hachem, je T’aime et mon cœur saigne d’être si éloigné de Toi, de la terre où Ta présence demeure. Permets-moi, donne-moi la force – Oh, oui! «Donne moi la force»! – de me détacher de mes liens galouthiques et de revenir contempler Ta présence, Te servir, sur la terre d’Israël!
Par Yéh’ezkel Ben Avraham pour Alyaexpress-News.
(1) Allusion à Eretz Israël.
(2) Métaphore pour les Mitzvoth.
(3) Métaphore pour une certaine connaissance de la Torah.
(4) Métaphore pour «Prier».
(5) Ménah’em Begin et le Likoud.
(6) Les «Accords de Camp David» qui ont consacré l’abandon de Yamit et du Sinaï.
(7) Les «Accords d’Oslo».
(8) Les dits «Palestiniens», un non-peuple (textuellement en hébreu lo-am – Dvarim XXXII,21).
(9) Démantèlement du Goush Katif par Sharon.