Le destin existe-t-il ? Le nom de David Gritz m’était revenu en mémoire, alors que je descendais la rue Hillel avec mon ami Reuven, qui me parlait d’un jeune étudiant français, grièvement blessé dans l’attentat de la cafétéria de l’université hébraïque où David avait trouvé la mort. C’était en août 2002, en pleine Intifada, à l’époque où les autobus explosaient au centre de Jérusalem et de Tel-Aviv presque chaque semaine. Une véritable guerre se déroulait dans les rues, les cafés et les marchés des grandes villes d’Israël, guerre encore plus terrible que les précédentes, car pour la première fois depuis 1948, elle touchait presqu’exclusivement les civils – hommes, femmes et enfants – placés en première ligne face aux terroristes kamikazes.

Nous avions quitté le pays pour une année sabbatique en France et nous trouvions à Paris, lorsque la nouvelle de l’attentat de la cafétéria se répandit comme une traînee de poudre dans la communauté juive, suscitant une vague d’émotion sans précédent en plein mois d’août. Beaucoup de gens qui, comme nous, ne connaissaient pas David Gritz, s’étaient rendus spontanément à son enterrement, au cimetière du Montparnasse, et nos craintes de voir les parents du défunt presque seuls s’étaient avérées infondées : une foule considérable les entourait, amis, lointaines connaissances ou personnes qui, comme nous, avaient voulu rendre un ultime hommage à ce jeune homme qu’ils n’avaient jamais rencontré.

A la tristesse de circonstance s’ajoutait le sentiment d’une perte injuste et d’une douleur insondable. Les parents de David, drapés dans leur deuil comme les personnages d’une tragédie antique, avaient réussi à conserver une dignité exemplaire. Les regardant de loin, debout devant la tombe ouverte de leur fils unique, je repensais à d’autres scènes terribles dont Israël avait été le témoin ces dernières années. La “famille des endeuillés” – expression typiquement israélienne qui n’existe, à ma connaissance, dans aucun autre pays du monde – s’élargissait chaque semaine aux parents d’une nouvelle victime du terrorisme. Combien d’enfants avaient été enterrés par leurs parents, combien de frères, de fils, de petits-fils avaient été conduits à leur dernière demeure au cours de ces années sanglantes ?

Mais dans le cas de David il y avait une dimension supplémentaire, car il n’était pas né dans ce pays et dans cette ville où il avait trouvé la mort. Le jeune étudiant prodige, philosophe surdoué au sourire tellement doux et au regard si profond, qui était venu passer l’été à Jérusalem pour étudier à l’université hébraïque et à l’institut Shalom Hartman, n’était même pas juif au regard de la hala’ha, étant né d’une mère catholique croate et d’un père juif américain. Rien, dans l’éducation laïque et cosmopolite qu’il avait reçue, ne le prédestinait à venir séjourner en Israël et à étudier le judaïsme dans la capitale du peuple Juif, dont il savait pertinemment qu’il ne faisait pas pleinement partie, ayant même envisagé un moment de se convertir.

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Il y avait quelque chose de cruel et de presque insensé dans le destin de ce jeune homme à l’intelligence hors du commun, sur le berceau duquel s’étaient penchées de nombreuses fées mais dont les dons multiples n’avaient pas encore pu donner tous leurs fruits. Philosophe, artiste, musicien : David était tout cela à la fois. Relisant, plusieurs années après sa fin tragique, le petit livre de philosophie publié à titre posthume à partir de son mémoire de maîtrise, je réalisai tout d’un coup que le sujet qu’il traitait était intimement lié à sa fin prématurée.

“Clic, un coup de pouce dans l’intérieur de la tête, et vous disparaissez. La jeunesse – éternelle – ô, mon passage sur cette terre !” David Gritz avait écrit ces mots prémonitoires dans son Journal, un an tout juste avant l’horrible attentat où il perdit la vie, lorsque la bombe du terroriste palestinien explosa dans la cafétéria où il était attablé et qu’un boulon lui transperça le cerveau… Avait-il eu le pressentiment de son sort tragique ? Cette question, on se la posait souvent en Israël, lors de la mort de jeunes soldats dont les proches retrouvaient des poèmes ou des chansons contenant des mots prémonitoires. Il y avait même en Israël un genre particulier de chansons, qui passaient en boucle à la radio le jour du Souvenir des soldats : les chansons écrites par des soldats morts à vingt ans.

Que restait-il de lui, pensai-je en regardant le portrait de David sur un site Internet consacré aux victimes d’attentats. Un petit livre bleu et noir, plein de savoir et de promesses ; quelques photos et des souvenirs qui s’estompaient déjà dans l’esprit de ceux qui l’avaient connu et aimé… Que restait-il d’un être humain après son bref passage sur cette terre ? Je me souvenais de l’impression étrange ressentie en ouvrant les cartons emplis d’objets hétéroclites laissés par un vieux cousin, mort sans héritier. David Gritz était lui aussi mort sans enfant, unique descendant de parents pour qui il était tout, branche ultime d’une lignée qui resterait coupée pour l’éternité. Le terroriste avait-il donc gagné ?

La réponse à cette question, je la trouvai quelques années plus tard, dans les pages d’un livre écrit par un kabbaliste du Moyen-Age. “Chaque âme humaine qui descend sur la terre est comme une voix particulière qui se joint au chœur des louanges pour l’Eternel, béni soit-Il”. De prime abord, ces lignes me parurent mystérieuses, mais en les relisant, je pensai soudain à David Gritz et à son violon, dont il jouait à merveille, avais-je entendu dire. Le terroriste qui avait assassiné David avait certes tué son corps, mais sa victoire n’était pas totale. Car l’âme du jeune musicien était éternelle et sa voix particulière et unique ne s’éteindrait jamais ; elle continuerait de résonner dans les sphères célestes supérieures, juste en-dessous du Trône de Gloire, à la place réservée aux Tsaddikim morts pour la Sanctification du Nom.

 

Itshak Lurçat

Nouvelle parue dans le Jerusalem Post

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